ESSAI
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AllUï. DE VATON
ESSAI
SUR
LES COMTES DE PARIS
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llllp. DF.DOUARI) PROUX KT C',
Rue Neuve-des-Boii'ï-l'lufans , 3.
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«^<? €œu^l■'t€ c/ed t^ym?êied ae /am/Ûe.
paria-
A LA LIBRAIRIE DE VATON,
Û6 , RUE DU Bac.
Chez mesdames Chassevent et Abel , passage Sajist-Roch , 40,
et a. amiouapd , quai yoltaiîie , 21.
1841
sitmiF'j JJ2 j>ji:ii:i^^
Monseigneur,
Cest avec Vagrémenl de voire auguste mère que je vous
dédie mon Essai sur les Comtes de Paris.
Voire nom, en couvrant ce livre de votre protection, lui atti-
rera infailliblement cette confiance que V anonyme repousse , et
consacrera sa propagation, dont le fruit matériel est destiné à
venir au secours de iCEuvre des Mères de faiidlle.
Ainsi, dès votre berceau , vous serez , Monseigneur, associé
aux bienfaiteurs de Vhumanité ; la pauvre mère bénira et fera
bénir à toujours, par son jeune enfant , Loui A-Philippe-
Albert d'Orléans^ comte de Paris.
Prince, la bénédiction du pauvre a toujours porté bonheur :
et vous aussi vous serez Marceliiis, tl Marcellls eris.
Je suis avec un profond respect,
Monseigneur,
[>c votre Altesse Royale ,
Le 1res humble et très obéissant serviteur.
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/essaisurlescomteOOdupr
I^lSSAl
SUR
S Di PIRIS.
PREMIERE SÉRIE.
^m^ ^<^m%èmM.
Sommaire,
Différences qui existent entre les comtes de nos jours elles comtes
de la féodalité. — Motifs qui peuvent nous porter à nous occu-
per des anciens comtes, et en particulier des comtes de Paris.
— Coup d'oeil sur l'organisation administrative et municipale
des Gaules, à l'époque de l'invasion.
Il existe des différences profondes entre un comte
de nos jours et les comtes de la féodalité, hauts et
puissans seigneurs, qui savaient faire respecter leur
domination de leurs serfs et de leurs vassaux, et
souventmême la rendaient redoutable au suzerain.
Leur château, assis d'ordinaire sur le penchant de
quelque montagne escarpée, sillonnée de ravins et
de précipices, indiquait assez que là résidait le mal-
— (S
trcdu village féodal, dont les humbles chaumières,
élevées de distance en distance, couvraient au loin
la campagne. A ces tourelles crénelées qui flan-
quaient le château, à ces larges fossés, à ces ponts-
levis qui en défendaient l'approche, à l'aspect ter-
rible des mâchicoulis, des parapets, des chemins
de ronde, des armures reluisantes des hommes qui
faisaient le guet, on reconnaissait sans peine le
théâtre de la guerre et la place forte derrière la-
quelle se retranchait la féodalité.
Rien ne désigne aujourd'hui au passant la de-
meure d'un comte; les citadelles du moyen-âge
(car il faut bien donner ce nom aux manoirs féo-
daux) se sont changées en fraîches et riantes mai-
sons de campagne où tout respire le luxe , l'élé-
gance, la sécurité.
Le château était le besoin d'une époque de vio-
lence et de force ; je n'imagine pas en effet que les
seigneurs s'y renfermassent pour leur plaisir : la
villa, avec sa légèreté et sa coquetterie, convient à
un siècle où régnent le droit et la civilisation.
Le comte de la féodalité avait sous lui des serfs ,
des colons, des vassaux; il se modelait sur les rois
pour le service de sa maison , et sa petite cour re-
présentait l'organisation du palais impérial; il avait
un référendaire , un sénéchal , des fauconniers ,
des échansons, des chambellans , des varlets , des
ccuyers, etc. Il vivait ainsi magnifiquement, occu-
pant ses loisirs à la chasse , aux tournois , à la
guerre. Le comte do nos jours n'a plus rien de cette
vie sociale, toute irrégulière, toute excej3tionnelle.
L'un, dans son fief, était souverain ; hors de là,
dans ses courses aventureuses, il conservait encore
tous les droits , tous les honneurs de la naissance
et de la noblesse ; l'autre n'a plus qu'un titre sans
pouvoir et sans privilèges.
Ces positions sont radicalement distinctes, mais
ce n'est pas à dire pour cela qu'il nous faille rom-
pre entièrement avec le passé ; plus la société ac-
tuelle est loin du moyen-âge, plus il nous importe,
pour apprécier les bienfaits de la civilisation mo-
derne, de nous faire une idée nette et exacte de
l'ancienne situation de la France; or, c'est atteindre
en partie ce but que d'étudier dans sa formation et
ses développemens un fief en particulier. Bien
connaître les lois générales qui ont présidé à sa
constitution, c'est expliquer presque l'introduction
du système féodal, car l'origine et l'agrandissement
de toutes les seigneuries présentent des caractères
communs ; et l'on ne peut, du reste, faire leur his-
toire sans toucher à l'organisation et à l'état du
pays à cette époque.
Un intérêt tout particulier se rattachera, ce nous
semble, au sujet que nous traitons. Les Comtes
de Paris, sous la seconde race, ne furent pas seu-
lement de grands seigneurs féodaux , ils devinrent
plus d'une fois les libérateurs de leur patrie. Leur
influence n'a pas été locale, circonscrite; pendant
plus d'un siècle, de 8(56 à 987, ils ont joué le prin-
cipal rôle dans notre histoire ; placés à côté de no.^
— 10 —
rois, ils se sont tails plus grands qu'eux. Dans la
longue durée de notre monarchie , trois familles
seulement ont pu réaliser à leur profit ce haut de-
gré de puissance, celle des Guise, sous la dynastie
des Valois-Orléans; celle des Pépin d'Héristal ,
sous la race Mérovingienne; et celle de Robert-le-
Fort, sous les descendans de Gharlemagne : ces
deux dernières seules ont fini par absorber la
royauté.
Enfin , puisque le titre de Comte de Paris vient
de renaître en faveur du rejeton d'une auguste fa-
mille, c'est peut-être faire une œuvre utile, une
œuvre agréable au public parisien , que de lui ap-
prendre ce qu'était anciennement le fief de sa ca-
pitale, ce qu'étaient ses possesseurs. Aujourd'iiui
le titre, il est vrai , n'est plus qu'honorifique ; mais,
telle est d'ordinaire l'exigence des hommes, que
bien que la puissance ne soit plus la même , ils
demandent beaucoup aux héritiers d'un grand
nom ; il y a une espèce de solidarité entre tous ceux
qui portent le même titre. Noblesse oblige , disait
un vieux proverbe ; et telle est encore la pensée
qui se retrouve dans le présent de cette épée que
la ville de Pans a fait au jeune prince; la vertu mi-
litaire a toujours été l'apanage et la gloire de ses
comtes. Je commence par l'origine et la constitu-
tion du comté.
Lorsque les Germains eurent pris possession des
Gaules, ils trouvèrent, répandu sur toute la sur-
face du territoire, un système d'administration ad-
— 11 —
mirable dans son ensemble el puissant par son
unité. L'empire dOccident avait été divisé en deux
grandes préfectures, les Gaules et l'Italie. La pré-
fecture des Gaules se subdivisait en trois diocèses
qui comprenaient dix-sept provinces. A la tête de
la préfecture, se trouvait un préfet du prétoire rési-
dant à Trêves; à la tête de chaque diocèse un vi-
caire ou vice-préfet; à la tête de chaque province
un consulaire ou un président. Bien plus, chaque
cité avait un agent du gouvernement , préfet ou
comte chargé de veiller aux intérêts du pouvoir qui
le déléguait, et de présider dans certains cas à l'ad-
ministration de la justice. Tous ces fonctionnaires,
ainsi échelonnés, formaient une hiérarchie dont le
sommet était à Rome dans la personne de l'empe-
reur. Placé là comme au centre, il pouvait, par sa
seule volonté, faire mouvoir sans secousse tous les
ressorts de ce vaste système.
Dans chaque municipe se trouvait une autorité
locale, indépendante en général du pouvoir admi-
nistratif : je veux parler de la curie, composée des
plus riches propriétaires. Elle gouvernait réelle-
ment le municipe au moyen : 1° de ses duumvirs,
dont les fonctions étaient analogues à celles des
consuls romains; 2" de ses principaux, qui for-
maient le conseil actif et permanent de la cité ;
8" de son curateur et de son défenseur de la cité.
Tels étaient en effet les principaux magistrats mu-
nicipaux.
Les Barbares ne touchèrent point à l'organisa-
— hi —
tion romaine ; des documens nombreux l'allés len(,
et les auteurs sont unanimes sur ce point.
Le roi se substitua au préfet du prétoire ci à
l'empereur; les chefs gennains, sous le titre de
ducs, de comtes, etc. , prirent la place des consu-
laires, des présidens, des préfets, etc. Quant à la
ville de Paris, la conquête dut nécessairement mo-
dilier sa position ; son rôle n'avait pas été très bril-
lant sous les Romains; sa forteresse ou chef-lieu,
Lutèce, n'avait été d'abord ni colonie ni métropole
de province , et ce ne fut que vers la fin du qua-
trième siècle que sa condition politique s'améliora
et qu'elle devint municipe. Après l'invasion, Paris
formait le centre d'un nouvel État , le siège d'un
monarque; à raison de ces faits, son importance
était tout autre. La cité conserva sa conslitution
municipale ; mais par la présence du pouvoir sou-
verain l'action gouvernementale se fit sentir avec
bien plus de force ; les agens du gouvernement de-
vinrent plus nombreux et acquirent aussi plus de
considération. Tel était le cours nécessaire des
choses ; nous n'en citerons qu'un exemple , qui a
trait à noire sujet. Nous avons déjà dit un mot, en
passant, de ces délégués de l'empereur qui avaient
mission, dans chaque municipe, de veiller aux in-
térêts du gouvernement; leurs fonctions étaient
semblables à celles des préfets delà ville de Rome ;
cependant, dans la plupart des localités qu'ils gou-
vernaient, ils étaient appelés i)lutôl comtes que
préfets. Ce dernier tilre paraissait réservé comm<'
— lô —
plus honorifique aux préfets de Rome et de Con-
stantinople.
Aussi sous les rois francs, les chefs germains qui
furent mis à la tête des villes, prirent le nom de
comtes; mais la cité de Paris eut, à l'instar de Rome
et de Constantinople, son préfet de la ville. Ce titre
subsista jusque sous le règne de Clovis II, où la di-
gnité de comte devint si considérable, que Erchi-
noald ou Erchembaud, préfet de Paris en 665, se
fit appeler comte de Paris. C'est là l'origine du
comté; à vrai dire, elle remonte au berceau de no-
tre monarchie, car tout démontre l'identité des
comtes de Paris avec les préfets de la ville. Il suffit,
pour s'en convaincre, de jeter les yeux sur le ta-
bleau suivant où les fonctions des comtes , telles
qu 'elles résultent des ordonnances et des capitu-
laires de nos rois, sont mises en regard avec les
attributions du préfet décrites dansloi Notitia imperii
Occident.
TRÉFETS DE LA VILLE.
Le préfet delà ville connaît de
Ions les crimes qui se coinmellenl
dans l'enceinte de Rome et dans
la circonf<3renee du 100'"' mille.
11 est charg«3 de faire réparer
les mursctles bâtimens, de veil-
ler à l'entretien des édi lices pu-
blics, des aqueducs, des rou-
tes, etc..
Les arts s'exercent sous son au-
torité et sous sa proteclion.
Le préfet de la ville veille au
«epos public, il a des postes di-
stribués en divers endroits poiu"
COMTES.
Cbarlemagne, dans un capilu-
laire de 812, veut que les cente-
uiers ne connaissent point des
causes où il s'agit de la peiie de
la vie ou de la liberté (c'est î»
dire des crimes), il en réserve la
connaissance aux comte:.
Le comte doit faire entretenir
et réparer lesbatimens, lesgrands
chemins, les ponts, les places
publiques , etc.
C'est au comte ;\ maintenir et
à protéger le commerce et les
aris.
Il doit faire régner la paix et la
han([uillité. cl veiller ù ce que
la (itsripline soit si Oi<n observée
— 14
le niaiiili<ni do l'oiclro. (î'osi à lui
qu'apparfioiit la polico des spec-
lacles, dos marchés, etc..
Jl a sous sa protectiou les pu-
pilles , les esclaves maltraités par
leurs maîtres.
en toutes choses , que les médians
se corrigent. Chacun , dans ce
but, doit lui prêter main-forte,
il peut, au besoin, requérir les
gens du roi.
Le comte est tenu de protéger
les pauvres, les veuves, les or-
phelins , toutes les personnes que
leur faiblesse pourrait exposer à
l'injure.
L'identité est frappante, mais le tableau relatif aux
comtes n'est pas complet ; nous avons à dessein
laissé de côté :l° les droits de déclarer la guerre, de
battre monnaie, de faire des lois, etc., droits qu'ils
n'acquirent que plus tard ; 2° le droit qu'ils avaient
de percevoir les revenus, de lever l'impôt à leur
profit dans leur gouvernement. Ce dernier droit est,
dès le début de la monarchie, la grande ligne de
démarcation qui sépare les magistratures germai-
nes de celles de Rome. Ces dernières n'étaient
composées que d'un élément, Vofficium, la charge;
et ceux qui en étaient investis n'étaient que des
fonctionnaires recevant un salaire fixe. Les magis-
tratures des Germains comprenaient deuxélémens,
Vofficitim proprement dit, et le beneflcium, récom-
pense que les Barbares accordaient à leurs compa-
gnons. C'est en vertu de ce dernier élément que
les ducs, comtes ou barons pouvaient percevoir les
revenus de leurs villes ou de leurs provinces; car
on n'ignore pas qu'il existait primitivement deux
espèces de fiefs : 1" les concessions de terres, de
domaines en toute propriété ; 2° les concessions de
charges, de dignités, avec les droits de justice et de
finance, qui devinrent la véritable source de la féo-
— lo —
dalité. Les deux élémens que nous avons analysés
plus haut ne se retrouvent que dans cette seconde
espèce de fiefs ; et c'est pour ne pas avoir attenti-
vement examiné leur nature et leurs effets que des
publicistes d'un grand nom , entre autres Montes-
quieu , ont soutenu que d'abord les fiefs furent ré-
vocables à volonté, qu'ensuite les rois les assurèrent
pour un an, et après les donnèrent pour la vie.
L'élément romain, Vofficium, était révocable de sa
nature et avait ses causes particulières de révoca-
tion, soit dans la volonté de l'empereur, soit dans
l'incapacité du fonctionnaire ; l'élément germain ,
le beneficlum, dérivant des liens personnels qui
attachaient le compagnon au chef, était nécessai-
rement à vie et ne pouvait tomber en commise ,
pour me servir d'une expression féodale, que dans
les cas où cette personnalité, dans les relations ,
venait à se détruire; ce qui avait lieu, par exem-
ple, lorsque le bénéficiaire refusait le service mili-
taire.
Mais ces deux élémens se confondirent tout d'a-
bord; le mot beneficium, converti plus tard en celui
de feodum ou feudum , devint seul en usage pour ex-
primer les charges dont les ducs ou comtes étaient
investis. Dans cette fusion l'idée germaine prévalut:
il s'ensuivit que des dignités qui, par les fonc-
tions qu'elles entraînaient, auraient dû être révo-
cables, furent cependant viagères. Telle est la con-
séquence qui résulte de la véritable notion sur la
})ersonnalité des biens entre les chefs et leurs com-
— 16 —
pagnons , et sur les récompenses que ceux-ci pou-
vaient recevoir. «Le serment le plus sacré des com-
pagnons, dit Tacite, est de défendre leur chel", de
le garantir, de rapporter même leurs belles actions
à sa gloire. «
Les chefs combattent pour la victoire. Les com-
pagnons pour leur chef... En échange, celui-ci leur
donne leur cheval de bataille , et celte francisque
si terrible et si meurtrière. Pour leur tenir lieu de
solde, il leur fait servir de grands repas dont la
chère est grossière et cependant dispendieuse. La
guerre et le pillage fournissent à ses libéralités.
C'était donc des récompenses mobilières.
Après l'invasion , le chef leur distribua des ter-
res fertiles, de riches domaines, des dignités avec
de grands revenus ; le principe des récompenses
est le même, l'objet seul en est changé. Le chef
germain ne devait pas exclure de son cortège le
guerrier mutilé dans les combats , ni lui retirer ses
bienfaits; il lui était beau sans doute d'avoir à sa
suite un glorieux débris de la victoire ; les rois bar-
bares ne durent pas ôter le bénéfice à leurs leudes
devenus incapables de remplir les fonctions qui y
étaient attachées, par une cause qui n'entraînait
point la déchéance du fief. On nommait alors un
délégué chargé d'administrer à la place du duc ou
du comte incapable , et le bénéfice continuait de
résider sur la tête de ce dernier. Pour nous borner
à notre sujet, on ne voit, en effet, dans une assez
longue série des comtes de Paris, aucun exemple
de destitution. Soanalchide etGaîrefroy, ou Gérard,
portent les armes contre Charles-Martel ; l'histoire
ne nous dit pas que ce maire tout puissant du pa-
lais les ait dépouillés de leur bénéfice.
Ces prémisses posées, il nous est facile d'en dé-
duire la nature du comté de Paris. C'était un fief de
dignité, viager dans son origine et qui le fut pendant
la plus longue durée de son existence; il rentrait
aussi dans la classe de ces fiefs qu'on appela plus
lard, dans la langue féodale, fiefs liges ou de corps,
par opposition aux fiefs simples. Ceux-ci n'entraî-
naient qu'une relation purement réelle : c'était plu-
tôt la chose que la personne qui se trouvait liée ;
ceux-là renfermaient un double lien, dont l'un
réel, l'autre personnel; c'est de ce dernier que
découlent les obligations de service et de défense
du seigneur.
La nature du fief de Paris nous conduit à la con-
naissance du rang qu'occupaient les comtes dans
la société gallo-fran(jue et de leurs rapports avec
nos monarques. Dans l'Etat, ils étaient de grands
dignitaires , n'ayant au dessus d'eux que les comtes
et les ducs des provinces; dans l'armée (car ils de-
vaient le service miliiaire), ils étaient naturelle-
ment les chefs ries hiimmes qu'ils levaient dans
leur comté , sauf toutefois leur subordination au
duc ou généralissime. Par rapport au monarque ils
rentraient dans la classe des leudes , des antrits-
lions, c'est à dire de ces hommes qui, se trouvant
sous la garde du roi , in truste dominica , obtenaient
— IS —
par là certains privilèges. Mais ces privilèges n'ai
raiblissaienl en rien, pour les tendes, leurs liens de
dépendance el de subordination à l'égard du sou-
verain.
Dans leurs rapports avec la cité, les comtes de
Paris se présentent comme administrateurs el ju-
ges; disons mieux, comme hauts justiciers. Leur
pouvoir administratif, sans qu'on puisse en assi-
gner l'étendue , était limité nécessairement par
les fonctions de la curie, institution des munici-
pes romains, qui ne disparut jamais entièrement,
et dont les attributions , chose assez remarquable,
étaient remplies à Paris par le collège des Naates.
Leur juridiction se trouvait restreinte par la ju-
ridiction temporelle qu'exerçaient les èvèques dans
les causes pécuniaires et séculières qui intéres-
saient les clercs et écoliers, causes qui se déci-
daient , d'après Brodeau , suivant les iiz et coustumes
de l'escêché. Il y avait même plus; leur bénéfice
était morcelé par la puissance de l'évêque, qui pos-
sédait le tiers du comté, et cela au même titre que
les comtes de Paris, qui avaient les deux autres tiers.
Le siège de la juridiction épiscopale était au Fort-
l'Évêque.
En fait, cet état de choses ne subsista que jus-
qu'à Robert-le-Fort ; en droit, il se perpétua jusqu'à
Hugues-le-Grand ; cependant, dans l'inleivalle de
celle première période du comté de Paris, plusieurs
seigneurs avaient acquis , dans leurs provinces, une
véritable indépendance. Eudes, duc de Toulouse,
— 19 —
avait réduit sous son autorité presque toute l'Aqui-
taine; la Provence échappait à la couronne, et les
Gascons secouaient le joug de la France.
Il n'est donc pas sans intérêt de rechercher les
causes qui retardèrent le développement de la
puissance des comtes et leur acheminement à la
royauté.
Et d'abord , leur voisinage même du trône ne les
plaçait pas dans des conditions favorables; l'in-
fluence du roi dominait nécessairement la leur : le
peuple s'attache d'ordinaire à ceux qui contribuent
à son bonheur. Or, tous les bienfaits paraissaient
découler du trône , dont le comte n'était qu'un
grand dignitaire. En outre , malgré son rang dans
l'armée, le comte de Paris n'était point réellement
le chef militaire des guerriers qu'il convoquait ;
dans l'origine, c'était le roi; plus tard, ce furent
les maires du palais. Et, la suprématie militaire,
est une des conditions de tout pouvoir qui s'agran-
dit.
Il en était autrement dans les provinces éloignées;
l'influence des comtes et des ducs était bien plus
immédiate, bien plus sentie. On perdait d'autant
plus facilement de vue le souverain, que tout ten-
dait à devenir local. En effet, les deux grandes
sources de communications parmi les hommes
étaient taries, le commerce et les idées; le com-
merce n'existait plus; les idées, elles se rétrécis-
saient chaque jour. La sphère et les vues de l'indi-
vidu se bornaient à la province , à la commune.
— -2() —
D'ailleurs dans ce pôle-mêle dos nations sur le ter-
ritoire des Gaules, il y avait une fluctuation perpé-
luelle, un mouvement continu d'atta(]ues et de ré-
sistances : à l'est et au nord, les Germains ; au sud,
les Visigoths; à l'ouest, les peuples des Armoriques.
Or, d'une part la difliculté des routes, que les bar-
bares avaient rompues; la lenteur de la circulation
des nouvelles et la difficulté des communications;
et de l'autre, la non-permanence des armées : tous
ces inconvéniens ne permettaient pas au roi de por-
ter d'assez prompts secours ; de sorte que les comtes
éloignés, pour mieux prémunir leurs provinces con-
tre l'invasion, devenaient nécessairement les cliefs
militaires de leurs guerriers. Ce fut un fait d'une
haute portée; ils s'attachèrent par là le peuple, qui
recevait d'eux et la justiceet la protection. De là dé-
rivent deux conséquences : l'une, que les provinces
éloignées durent être les premières à se iéodali-
ser, et c'est en effet ce que prouve l'histoire (en rè-
gle générale, la féodalité partit de la circonférence
pour aboutir au centre; comme aussi, en seiis in-
verse, la royauté gagna du centre à la circonférence
lorsqu'elle entreprit de dissoudre le régime féo-
dal) ; l'autre, que la féodalité, dans son origine, fut
le plus souvent protectrice ; peu de pouvoirs, en
effet, débutent par la violence et l'oppression : De-
n\s à Syracuse, Gélon à Agrigonte, avaient été les
bienfaiteurs de leur patrie avant d'en devenir les
tyrans. Le régime féodal, à l'époque de ses plus
grands débordemens, avait pris depuis long-temps
— 21 —
possession du sol. Au reste, pour nous résunier,
disons que le défaut d'influence immédiate, el la
séparation de la suprématie militaire d'avec le pou-
voir judiciaire, s'opposèrent, entre autres causes
efficaces, à l'élévation des comtes de Paris.
Il faut compter, parmi ces causes, leur incapacité
personnelle, qui joua un assez grand rôle. Pendant
cette longue série d'années qui s'écoulèrent du ber-
ceau de la monarchie àRobert-le-Fort, aucun d'eux
n'apparut avec celle supériorité de lalens , cette
fécondité de ressources et d'intrigues , cette re-
muante ambition , qui fondent le succès d'un usur-
pateur; car, s'il est vrai que les circonstances font les
grands liommes , il faut bien reconnaître que les
grands hommes savent susciter les circonstances.
Nous devons tenir comple aussi de la possession via-
gère du fief. Lne puissance n'est stable qu'autant
qu'elle se base sur l'hérédité : l'usurpation est peu
redoutable lorsqu'elle doit périr avec l'usurpateur.
Lne cause qui contribua plus activement à main-
tenir les comtes dans un élat stationnaire, ce fut la
puissance des maires du palais. Ils se présentent
dans l'histoire comme les usufruitiers de l'autorité
royale; tout à la fois guerriers habiles et politiques
dangereux, ils aspirent, dès leur naissance, à s'éle-
ver au dessus du monarque. Leur domination in-
quiète el jalouse n'aurait pas souffert un pouvoir
rival à côté d'eux; les comles de Paris durent alors
s'effacer, à moins de se sentir le courage de com-
mencer une lutte incessante et terrible, et ce cou-
-t^
rage leur manqua. L'on sail en eflet quels hommes
furent ces maires du palais.
A leur tête, est le farouche Ebroin, cet adversaire
infatigable de l'aristocratie territoriale , lequel cher-
chait à prendre possession du sol ; ce ministre intri-
gant qui ne reculait pas devant la perfidie ou le
crime pour atteindre son but.
Il est suivi de cette famille des Pépin, où les talens
et l'ambition paraissaient héréditaires , laquelle,
après avoir envahi la Neustrie , finit par s'asseoir
sur le trône de France. Sous de tels hommes l'u-
surpation n'était pas possible; elle ne le fut pas da-
vantage sous les deux premiers rois de la race car-
lovingienne.
Quoique Pépin eût envahi le trône , et qu'à rai-
son de ce fait il dût ménager les seigneurs , cepen-
dant il est douteux qu'il fût réellement trailable ,
car il s'était promptement afTermi dans sa puis-
sance, et avait effacé les anciens souvenirs en don-
nant à sa royauté un caractère religieux.
Quant à Charlemagne, la terreur de son nom ,
la grandeur de son mérite personnel, l'esprit d'u-
nité et de force qu'il imprimait à sa puissance , ne
permettaient pas au seigneur le plus remuant d'é-
lever la tète. La société gallo-franque qui, jusqu'à
lui, avait tendu d'une manière irrésistible à sa dis-
solution , sembla ressusciter un instant et revenir
à l'unité. La main habile et ferme de ce prince savait
faire mouvoircette vaste organisation administrative'
et municipale (lontl'enjpereur de Rome rï'avait pas
— 23 —
laissé le secret aux rois barbares. Sous lui le pouvoir
central acquit beaucoup d'action et d'énergie; et le
pouvoir local dut diminuer proportionnellement.
Mais Charlemagne mourut, et le mouvement gal-
vanique, si je puis parler de la sorte, qu'il avait im-
primé à la société vieillie, ce mouvement cessa. La
féodalité reparut plus active et plus puissante; car
dans la longue paix intérieure dont Charlemagne
avait fait jouir l'empire, elle avait eu le temps de
prendre racine dans le sol; les ducs, les comtes
avaient fait passer sans secousse , sans qu'il y eût
de prétentions rivales, leurs bénéfices sur la tête de
leurs enfans; et l'idée de succession, de pouvoir
héréditaire dans une famille , se présentait aux
peuples comme un état normal. Dès le règne de
Louis-le-Débonnaire, la dissolution de l'empire fut
effrayante; on peut en juger par les guerres conti-
nuelles de ses enfans, qui s'arrachaient les pro-
vinces. Sous Charles -le -Chauve , le mal ne lit
qu'empirer; Pépin II, en Aquitaine, et Noménoé, en
Bretagne, avaient pris le titre de roi ; du temps de
Louis-le Gros, nous trouvons sept royaumes consti-
tués. L'autorité royale, dans l'opinion du peuple, et
surtout des grands vassaux, diminuait de jour en
jour; les guerres locales recommençaient, et avec
elles l'instabilité des territoires , l'incertitude des
existences : tout était remis en question comme sous
la première conquête; c'était le moment de fon-
der: les seigneurs en prolitèrcnl. Les Normands,
par leurs ravages et par les embarras qu'ils suscité-
— -24 —
renl à nos rois, favorisèrent encore ce développe-
ment de la féodalité, et ils devinrent l'une des pre-
mières causes de la puissance des comtes de Paris.
Pour quelques heureux succès qu'il avait obtenus
sur les pirates, Robert-le-Fortfut comblé de riches-
ses et de titres ; il devint comte d'Anjou , marquis
de France, et, peu de temps après, duc des Fran-
çais. Son frère, IIugues-l'Abbé , comte de Paris,
héritier de sa fortune sur les Normands , suc-
céda à sa puissance; elle était trop étendue pour
qu'elle n'engloutît pas une royauté chancelante et
avilie. Aussi, sous Eudes et Robert, leur indépen-
dance et leur ambition ouvrirent aux comtes de Pa-
ris un chemin vers le trône. Cependant, pour cons-
tater les changenjens survenus dans le fief, nous
le prendrons tel que le fit Hugues-le-Grand. Ce fut
sous lui que la fortune des comtes atteignit son
maximum d'élévation , et que le nouveau caractère
de leur position dans l'Etat devint plus radical et
mieux tranché.
Nous avons vu que le fief primitif de la capitale
n'était qu'un fief de dignité, viager de sa nature ;
et qu'à la fin de la seconde race ces caractères
avaient disparu. Les comtes de Paris s'étaient ren-
dus de véritables souverains , sans néanmoins en
prendre le titre ; ils en exerçaient les droits ,
non pas seulement dans l'intérieur de leurs fiefs,
comme le firent plus tard les seigneurs de la
féodalité, mais encore de fait, dans leurs rela-
tions extérieures. De même qu'ils battaient mon-
— 25 —
noie , ils déclaraient la guerre et contractaient
des alliances. Ouvrez l'histoire, vous verrez Ro-
bert , Hugues-le-Grand s'allier, non pas à des vas-
sauxremuans, dontla souveraineté pouvaitêtre mise
en question , mais avec des empereurs de Germa-
nie. Par l'hérédité du fief, la personnalité des liens
entre le vassal et le suzerain s'était affaiblie, et ce
serment de foi et hommage , qui avait pour but de
le perpétuer, ne remplaçait pas cette ancienne
investiture que les rois francs conféraient à leurs
leudes. Par contrecoup , les obligations qu'entraî-
nait l'allégeance se relâchèrent; une fois le carac-
tère de personnalité afî'aibli dans les bénéfices,
le devoir du service militaire, le devoir de défen-
dre le chef ne fut plus qu'un vain mot. Dans les
forêts de la Germanie , aux premiers temps de la
conquête, l'état des mœurs et l'opinion publique
avaient assez de force pour (ju'un bénéficiaire
n'essayât pas de décliner les obligations que lui
imposait la personnalité de son bénéfice; après,
au contraire, que la féodalité eût été constituée,
les services personnels ne furent rendus qu'autant
(|ue le suzerain conservait assez de puissance pour
les exiger de son vassal. C'est ce qui arriva pour les
comtes de Paris. Comme ils devinrent plus puis-
sans que les rois , nous voyons Hugues-le-Grand
prêter à son gré main-forte à nos monarques , ou
les laisser guerroyer avec leurs vassaux, pen-
dant que lui restait tranquille dans ses domaines.
Or, c'était là un»* position de fait et non pas de
— "20 —
droit, car tout lien personnel n'était pas rompu.
Mais cette position de fait l'emporta, et l'on vit
peu à peu se clianger la nature des rapports qui
existaient entre le souverain et les comtes de Paris;
ils n'avaient été long-temps que des leudes, dont
toute la grandeur et la fortune consistaient dans
la protection du roi; à la fin de la seconde race, de
protégés ils étaient devenus protecteurs : c'étaient
nos monarques qui se trouvaient vraiment sous
leur garde, in truste. Dans l'armée, ils avaient pris le
premier rang ; il n'y avait plus de maires de pa-
lais pour commander les troupes, et depuis Cliar-
les-le- Chauve, les descendans de Gharlemagne
leur avaient définitivement abandonné la conduite
de leurs soldats.
Ce nouveau rôle modifia nécessairement leurs
relations avec la cité : d'administrateurs, de juges,
ils devinrent, avant tout, des chefs militaires.
C'est, en effet, à cette époque que nous voyons
apparaître des vlcecotnites ou vicomtes , sur les-
({uels ils se déchargèrent des soins de l'administra-
tion et de l'exercice de la justice. Le premier que
l'histoire mentionne est Grimold, en 900 ; nous
connaissons encore quelques uns d'entre eux ,
comme ïeudon , dans les années 9*2(5 et 927, et
Burchard, comte de Mehm, en 981.
Quant à leur juridiction , ses limites dans l'in-
lerieur de Paris ne changèrent pas; les évoques
«'ontinuèrcnt d'exercer leur autorité, car nulle
pari il n'est lait mention (jue liugues-le-Grand ,
— 27 —
quelque indépendant qu'il t^t et des rois et du
clergé , eût porté atteinte aux privilèges do l'E-
glise ; et pour son fds , Hugues Capet, son pen-
chant bien connu à favoriser le clergé ne permet
pas même de supposer qu'il ait voulu restreindre
la puissance de l'évêque. Mais , à l'extérieur, leur
juridiction eut un ressort bien plus étendu. Il
n'est pas facile d'en assigner les bornes ; je crois
que le guide le plus sûr en cette matière serait la
carte de la vicomte de Paris, telle que l'ont établie
nos anciens auteurs coutumiers. Perrière donne
pour bornes à cette vicomte, au nord la Picardie, à
l'est la Champagne, au sud l'Orléanais, et à l'ouest
la Normandie. L'agrandissement des comtes et
leur nouvelle position à l'égard des monarques
devaient amener la ruine de la royauté, et l'ame-
nèrent en effet. C'est cette révolution qu'il nous
reste à expliquer.
Nous avons vu successivement disparaître toutes
les causes qui , durant la période mérovingienne
et pendant la première partie de la seconde race ,
avaient opposé des barrières à l'ambition des
comtes. L'hérédité s'établit dans le fief: Hugues-
le-Grand la ravit à la faiblesse de nos rois; le
comté de Paris doit se perpétuer dans sa famille ,
jusqu'à ce que, par défaut d'hoirs maies, il fasse,
réversion àla couronne. Les maires du palais finis-
sent avec l'élévation des Pépin au trône. Celte fa-
mille donne deux grands rois à la France , Pepin-
le-Bref et Charlemagnc. Celui-ci surtout, par son
— 28 —
autorité absolue et la centralisation du pouvoir
souverain, força la féodalité à rester stationnaire,
et rendit un instant l'esprit d'unité à la vieille so-
ciété gallo-franque , qui tendait de toutes parts
à se dissoudre. Mais son ouvrage périt avec lui;
l'esprit humain n'était pas prêt pour une consti-
tution large et complexe. Il était plus facile d'or-
ganiser un petit Klat ; le fractionnement de la
société se prêtait donc aux idées et à la force in-
tellectuelle de cette époque : aussi rien ne put
l'empêcher. 11 était d'ailleurs favorisé par la di-
versité des races qui se croisaient sur le terri-
toire de la Gaule, et qui devaient tendre, d'une
manière irrésistible, à se grouper selon leur na-
ture. Une main puissante seule aurait pu main-
tenir à l'état d'agrégation ces élémens hétéro-
gènes, ces races diverses, qu'une répulsion secrète
portait à s'isoler; il aurait fallu une force armée
considérable ; et l'on sait, d'une part, quels furent
les descendans de Charlemagne, et de l'autre, ainsi
que les succès des Normands l'attestent, à quel point
la France était pauvre en guerriers. Comme tous les
seigneurs, les comtes de Paris tirèrent profit de cette
dissolution nécessaire de l'empire. Mais l'incapa-
cité des descendans de Charlemagne dans l'art de la
guerre, servit encore mieux leursvues ambitieuses.
Placés auprès du trône, ils succédèrent naturel-
lement à ce pouvoir militaire des rois, et en même
temps à l'influence que donnent les armes. Ce fut
là un coup funeste [)orté à la royauté ; cl (|uoiqu'elle
— 29 —
eût cessé depuis long- temps d'être purement mili-
taire, cependant Pépée était le plus sûr moyen
d'imposer à des seigneurs turbulens et guerriers.
Aussi, dès ce moment, les comtes de Paris n'eurent
pas de peine à faire confirmer leurs usurpations
et à arracher sans cesse de nouvelles concessions à
la faiblesse de nos monarques. Maîtres , comme
ducs de France, de tout le pays qui s'étendait entre
la Seine et la Meuse, et, sous le titre de ducsdeNeus-
trie, possesseurs du territoire compris entre la Seine
et la Loire, jusques aux frontières de la Normandie
et de la Bretagne, ils prétendaient en outre au duché
de Bourgogne ; ils avaient ainsi sous eux une foule
nombreuse de vassaux, qui redoutaient bien plus
leur puissance qu'ils ne s'inquiétaient de la su-
zeraineté du roi. Ils relevaient en effet immédiate-
ment des comtes, qui eux-mêmes reconnaissaient
en droit l'autorité du monarque , mais qui la fou-
laient aux pieds, sans scrupule et sans crainte,
lorsqu'il s'agissait de leurs intérêts. Les comtes
avaient une armée pour se faire obéir; les rois, ne
possédant plus de fiefs en propre à la fin du x* siè-
cle, étaient à la merci de leurs vassaux, qui, selon
leursvues et leur ambition, prenaient cause pour le
souverain, ou demeuraient oisifs dans leurs terres.
Dans de telles circonstances, la royauté était au
fond plus nominale que réelle ; elle ne pouvait vivre
à de semblables conditions, et elle ne vécut pas ;
elle s'éteignit et se déplaça sans secousse. Pour qui-
conque médite sur l'histoire de ces temps, l'avène-
— -■)(» —
inenl de Hugues Clapet lui paraît bien plutôt une
succession au trône qu'une révolution, tant lu
lamille de Uobert-le-Fort trouva de facilité à s'em-
parer de la couronne. Deux faits expliquent, du
reste, clairement son élévation. Le premier est que
Hugues Gapet n'acquit aucun accroissement réel do
puissance; son titre seul fut changé : il était comte
de Paris et duc des Français, il s'intitula roi de
France ; et le royaume ne se composa en eft'et que
des provinces qu'il gouvernait et comme duc et
comme comte.
Le second est que les seigneurs avaient intérêt
à créer un monarque de leur choix. Ne perdons
pas de vue que lex^ siècle fut une époque de disso-
lution de l'empire, 'par suite d'usurj)alion ; par rap-
port aux descendans de Charlemagne, les grands
seigneurs se trouvaient dans la position d'un
homme qui s'est emparé du champ de son voisin ,
et qui, chaque jour, peut craindre la revendica-
tion. Au contraire, comme l'a dit un célèbre pu-
bUcisle de nos jours (1), Hugues, le comte de Paris,
n'était point dans la situation des successeurs de
Charlemagne ; ses ancêtres n'avaient point été rois,
empereurs, souverains de tout le territoire ; les grands
possesseurs de fiefs n'avaient pas été ses officiers ou
ses bénéficiers; il était l'un d'cntr eux , sorti de leurs
rangs, jusque là leur égal ; ce titre de roi qu'il s'ap-
propriait pouvait leur déplaire , mais non leur porter
(1) (iuiz)!. Hhloire de la civilisaliou en Fraucc.,
sérieusement ombrage. Ce qui portail ombrage dans
la royauté cartovingienne, c'étaient ses souvenirs, son
passé. Hugues Capet ri avait point de souvenirs, point
dépassé. C'était un roi parvenu, en harmonie at^ec une
société renouvelée.
Aussi l'avènement de Hugues Capet fut-il une
véritable transaction. La clause tacite, du côté des
seigneurs, fut celle-ci : Toute usurpation faite Jus-
(juà ce jour est confirmée. La royauté naissante sti-
pula : i° Que chaque seigneur lui prêterait foi et
hommage ; 2° Qu'à défaut d'hoirs mâles, les fiefs re-
tourneraient à la couronne.
Peut-être aussi , du reste , l'élévation des Capet
fut-elle favorisée par le mouvement de l'opinion na-
tionale.
On peut considérei', jusqu'à un certain point, la
fortune et la grandeur des Pépin comme une se-
conde invasion de la Germanie. Ce fut après la ba-
taille de Testri, et à la tête d'une armée victo-
rieuse, que Pépin se fit nommer maire de Neuslrie
ctde Bourgogne: il s'imposa donc à la société gallo-
franque. Il faut bien le reconnaître, il y avait,
sous le rapport desmœurs, de la langue, des usages,
un intervalle immense entre l'Austrasie et la
Neustrie. Les Francs-Neustriens s'étaient promple-
ment incorporés avec les Gallo-Romains ; ils étaient
avec ceux-ci dans le même état moral et politique;
au contraire les Francs-Austrasiens avaient conservé
presqu'inlacte leur ancienne barbarie, ils étaient
beaucoup plus Germains. On conçoit, dès lors, la
— TA
lendnnce de la société galio-franqiie à servir l'am-
bition des princes dont l'origine était nationale.
Le plus grand obstacle que les descendans de
Robert-le-Fort rencontrèrent, ce fut le principe de
la légitimité. Nous le trouvons sous la première dy-
nastie, mais avec moins d'ascendant moral; il était
né de la royauté religieuse nationale , ou si l'on
veut de ces croyances populaires qui attribuaient
à certaines familles issues des anciens héros , des
demi-dieux barbares , une prééminence hérédi-
taire. Il se perpétua sous la race carlovingienne ,
mais alors il changea de base et s'appuya sur une
idée purement chrétienne : celle qui faisait du mo-
narque un représentant de la divinité. Cet ancien
caractère protégea long-temps les descendants de
Charlemagne etsurvécut à leur faiblesse, et même
à leur ruine. Je n'en veux d'autre preuve que le pas-
sage tiré de la Chronique de Saint-Bertin : Ainsi in
couronne de France échappa à la race de Charles-le-
Grand y mais elle lui revint dans la suite de la façon
que voici: Charles de Lorraine, qui mourut en prison
[à Orléans, en 992) , eut deux fils, Louis et Charles,
et deux fdles, Hermengarde et Gerberge. La première
épousa le comte de Namur. De sa descendance naquit
Baudoin, comte de Hainaut, qui eut pour femme Mar-
guerite , sœur de Philippe , comte de Flandre ; leur
fille Elisabeth épousa Philippe II, roi des Français,
qui en eut pour /ils Louis , son successeur dans le
royaume, duquel sont descendus depuis tous les rois
des Français. Ainsi il est constant que, dans la per-
— 55 —
sonne de ce Louis , tt du côté de sa mère , le royaume
revint à la race de Chariema^ne. Et c'était trois siè-
cles après la chute de la dynastie carlovingienne
que les esprits subissaient encore l'influence de ce
principe de la légitimité. Hugues lui-même parut
respecter le préjugé , et douter de son droit à la
couronne, s'il faut en croire un chroniqueur, qui
nous rapporte que Hugues posséda neuf ans le
royaume, sans pouvoir toutefois porter te diadème.
Et cependant il employa le moyen le plus efficace
pour ruiner la légitimité dans sa base : ce fut de s'al-
lier avec le clergé. Ce principe était le résultat du
christianisme et surtout l'œuvre de l'Eglise, qui en
avait accrédité et propagé la croyance. Ce qu'elle
avait fait pour Pépin et ses descendans , elle pouvait
le faire pour la dynastie capétienne; Hugues le sentit
et s'appliqua à gagner le clergé, pour qu'il déplaçât
la légitimité, en la transportant dans sa famille.
Quoi qu'il en soit, Hugues Gapet prit la cou-
ronne en 987, et réalisa pour toujours cette fusion
nécessaire delà puissance des comtes de Paris avec
la royauté. Le comté ne s'éteignit pas cependant;
le fief n'était réversible à la couronne qu'à défaut
d'héritiers mâles; mais les comtes de Paris n'eurent
plus à jouer ce rôle imj)ortant qu'ils s'étaient attri-
bué sous la seconde race. Le pouvoir militaire leur
fut ôté , et ils rentrèrent dans leurs attributions
primitives, c'est à dire dans l'administration do
ia cité et l'exercice de la juslice : ils échappent
dès lors aux regards de l'historien. Au reste , tout
— 54 —
poric à croire qu'ils avaient élé clkoisis parmi
les princrs mêmes de la famille royale. Odon , le
dernier comle dont il soit fait mention, était parent
du roi; il mourut sans enfans sous le règne de
Henri ï" , en 10S2, et l'inféodation de la capitale
finit avec lui. Quoique depuis Hugues Capet les
comtes de Paris n'eussent plus la puissance de leurs
prédécesseurs , et qu'ils fussent redevenus magis-
trats, néanmoins ils ne laissèrent pas de déléguer
leurs fonctions à des vicomtes. Nous rencontrons ,
avec celle qualité, Adalelme, en 987, et Falco, en
4032. Après l'extinction du comté, Falco, le der-
nier vicomte , fut maintenu dans son titre et dans
sa charge; mais à sa mort il fut remplacé par un
prévôt. Telles furent les vicissitudes du comlé de
Paris. 11 avait succédé à la préfecture romaine lors-
que la féodalité s'implantait sur le territoire des
Gaules ; il redevint prevdfé ou préfecture, dès que la
royauté commença sa lutte contre le régime féodal.
Depuis Odon, jamais prince ou seigneur n'avait
pris la qualité de comte de Paris; après huit siècles
d'intervalle (806 ans), le titre vient de renaîlre en
faveur du rejelon d'une auguste famille. Nous n'a-
vons point à examiner ce que peut être , de nos
jours, le comlé de Paris ; il n'y a plus rien de féodal
dans noire constitution politique , et les lilres
n'entraînent ni droit ni privilège.
DEIJXJKMK SlvRTE.
s^^ <Q<mmî^2 wm ^^mijn^*
Sommairei
Origine du comté de Paris , sa nature. — Étendue de sa juridic-
tion. — Les comtes de Paris, par leur position, durent devenir
une puissance rivale de la royauté. — Causes qui s'opposè-
rent à leur élévation. —Ces causes disparaissent à la fin de la
seconde race , qu'il s'opère un changement dans la position des
comtes de Paris; étendue de leur puissance. — La royauté ne
pouvant exister à côté d'eux, ils deviennent rois. — Comment fut
amenée cette fusion de la puissance des comtes avec la royauté.
— Extinction du fief.
Le premier seigneur que nous voyons Figurer ^^(^5
dans l'histoire avec le titre de comte de Paris, fui
Erchinoald ou Erchembaud , fils du prudent Ega ,
maire du palais, l'un des plus nobles princes de
Neustrie, sage en paroi le et en responce et droicturier
€71 justice. Erchinoald remplaça son père dans ses
éminentes fonctions. Son nom n'est point resté fa-
meux parmi les maires du palais; le farouche
Ebi oin avec sa sombre renommée , la famille des
Pépin avec les souvenirs brillans qui se rattachent
à leur mémoire, ont fait oublier tous les maires
leurs prédécesseurs. D'ailleurs il n'nvait aucune de
ces qualités éclatantes qui souvent font la fortune
d'un nom, sans faire pour cela le bonheur du peu-
ple; il se distinguait, comme son père, par sa sa-
gesse, sa prudence, son amour pour la justice. Il
ne fut point étranger à l'art de la guerre , et plus
d'une fois il fit sentir sa valeur à ces indomptables
pirates qui descendaient des bords de la Baltique
pour infester nos côtes.
Dans une de ses expéditions, le sort des combats
livra dans ses mains une jeune fdle y laquelle on di-
sait estre de royale lignée; car la captive était belle
et noble , et en elle les qualités de l'âme rehaus-
saient la beauté du corps. Erchinoald ne resta
point insensible à ses attraits, et parmi les escla-
ves nombreuses qui composaient sa maison, il sut
distinguer la royale fille. Bientôt Bauldour ( c'é-
tait son nom) quitta ses modestes vêtemens et
s'assit à la table de son seigneur. Le maire du pa-
lais se plaisait à la servir de ses propres mains; il
aurait voulu lui faire oublier par les honneurs dont
il la comblait, et les rives toujours chères de la Saxe,
sa patrie, et les outrages de l'aveugle fortune. Un
autre motif le poussait sans doute aussi à cet excès
de galanterie: il aspirait à la main de la Saxonne ;
mais il était engagé dans les liens d'un premier ma-
riage, et la vertueuse Bauldour aurait rejeté des
— 37 —
feux lllégilimos. La mort vint détruire cet obstacle;
el, sur la tombe à peine fermée de sa première
femme, Erchinoald rêva un nouvel hyménée. Il
redoubla d'instances auprès de sa captive ; il l'en-
toura de luxe, de richesses, d'honneurs; enfin il
osa lui avouer son amour. A cet aveu , Bauldour,
qui sentait dans ses veines couler un sang royal, fut
effrayée ; et trop fière pour s'alher à quiconque n'é-
tait pas roi, elle se cacha pour éviter les poursuites
de son seigneur.
Cependant Clovis II avait entendu parler de la
naissance et d^s vertus de l'esclave d'Erchinoald;
il désira la voir, et sa beauté fit sur lui une pro-
fonde impression. Les sympathies du monarque
prirent peu à peu le caractère de la passion, et
Bauldour, débarrassée de la main d'un sujet, de-
vint reine de France. C'est elle que nous connais-
sons sous le nom de Bathilde; unie à un prince
indolent, elle porta tout à la fois et la couronne de
reine et le sceptre du monarque, jusqu'au moment
où, fatiguée des grandeurs delà terre, elle alla dans
Tabbaye de Chelles calmer son sang ambitieux.
Erchinoald, trompé dans ses espérances, se con-
sola en contractant un mariage plus analogue à son
rang.
Il signala sa libérable envers l'Eglise par des do-
nations importantes, et expia sans doute large-
ment la parcimonie de son père Ega, qui, dit un
de nos chroniqueurs , était droicturier en justice ,
mais trop avaricieux. En effet , il fit don à la fois
— 38 —
d'une de ses maisons, siluée à l'endroit où s'élève
aujourd'hui riIotel-Dieu; de la terre de Creleil et
de sa chapelle, qui devint plus tard l'église de Saint-
Christophe , détruite en 17^7 pour faire place à la
maison des Enfans-Trouvés.
Ces riches présens indiquent assez l'opulence
d'un puissant seigneur qui peut, sans s'appauvrir,
détacher plusieurs terres de ses vastes domaines ;
mais l'histoire ne nous apprend pas s'il laissa des
héritiers de sa fortune et de son nom. Un fait est
certain, c'est que l'autorité de maire du palais
passa sur la tète du terrihle Ebroïn. Sous le génie
despotique de ce ministre, les comtes de Paris s'ef-
facent à peu près de nos annales, ou, s'ils y figu-
rent encore, leur nom est sans gloire , leur vie est
obscure , leur puissance languit sans force et sans
énergie. Ainsi Soanalchide et Gaïrefroy n'auraient
pas même laissé de traces de leur passage , si les
prétentions injustes d'un de leurs successeurs ne les
eussent entraînés devant le tribunal du roi Pépin.
719 II paraît que pendant les troubles qui agitèrent
une partie de la régence de Charles-Martel, lorsque
Hainfroy , soutenu par Eudon d'Aquitaine , voulait
disputer le pouvoir à l'héritier des Pépin , les deux
comtes que nous venons de nommer prirent cause
contre Charles. Les religieux de Saint-Denis, peu
contens d'un prince qui distribuait à ses soldats les
biens de l'Eglise, prêtèrent main forte à ses enne-
mis. Comme ils ne pouvaient les aider de leur
5ang , ils les secoururent de leur argent, etpermi-
— 59 —
lent à Soanalchido, et plus Uud à GaïrelVoY, do le-
ver quatre deniers par tête sur les marchands qui
affluaient à la foire de Saint-Denis.
Gérard, leur successeur, sans s'inquiéter des
causes qui avaient donné naissance à cet impôt,
non seulement voulut continuer à percevoir la taxe,
mais encore il l'augmenta d'un denier sur les mar-
chands qui n'étaient pas de condition libre. Cet
empiétement ne fut pas vu de bon œil par les reli-
gieux ; la foire de Saint-Denis cessa d'attirer un vaste
concours, parce que l'excès des droits en écartait
les marchands; le trésor de l'abbaye ne s'emplis-
sait plus; les moines crièrent, et Fulrad , l'un des
plus fermes abbés de ce monastère , porta leurs
plaintes jusqu'au trône de Pépin. Gérard essaya en
vain de légitimer ses prétentions : il succomba, et
une charte, émanée du roi, consacra la franchise
de la foire de Saint-Denis. Plus tard il ctlaça le sou-
venir de ses tentatives d'usurpation sur les bierjs
du clergé, en figurant comme donateur dans l'acte
de fondation du monastère de Prum.
Nous avons hâte de passer sur ces comtes obscurs
dont le nom ne rappelle rien de grand ni do
glorieux pour notre patrie, rien d'utile à ses inté-
rêts. Ltienne lui-même , quoique investi de sa puis-
sance par un prince dont le contact agrandissait
tout, Ltienne n'échappe pas à cet oubli de l'his-
toire.
iNous savons (jue Charlemagne le nomma , avec 80:2
Fardulfus , abbé de Saint -Denis, missiia doniinicaHy
pour inspecter l'exercice de la justice dans les ter-
ritoires de Paris, de Melun, de Provins, de Char-
tres, d'Étampes et d'autres lieux. Il figure dans un
capitulaire de l'empereur, où il est dit : « Ces capi-
» Iules furent signifiés au comte Etienne pour qu*il
')tes fît publier dans la cité de Paris et dans une as-
» semblée publique (rtiallo publico), et lire en pré-
«sence des éclievins ( coram scablneisj, — L'assem-
))blée déclara qu'elle voulait toujours observer ces
«capitules, et tous les échevins, les évêques, les
» abbés , les comtes, les signèrent de leur propre
«main. »
En sa , Etienne paraît conjointement avec
Amaltrude, son épouse, dans une donation de
biens à l'église cathédrale de Paris, alors appelée
Sainte-Marie et Saint-Étienne. — Il fut Tun des
douze comtes qui signèrent, en qualité de témoins,
le testament du grand empereur.
Les missi dominici étaient de véritables inspec-
teurs généraux que Charlemagne envoyait dans le»
provinces pour contrôler l'administration des ducs
et des comtes , et faire parvenir jusqu'au trône les
plaintes des sujets. C'était un des ressorts les plus
importans du pouvoir centra!,
Bigon, Biegon ou Pecopin mérite encore moins de
fixer notre attention; il ne parait dans l'histoire
que pour donner sa main à Alpaïde , fille de Louis-
le-Débonnaire. Au reste , il ne jouit pas long-temps
de sa fortune et de la faveur royale. Sa mort arriva
en 816.
— 41 —
Girard 11 est le premier comte que nous rencon-
trons après lui. On ignore s'il fut son successeur
immédiat; mais il est certain qu'en 837 il était à
la tête du comté de Paris. Nous en avons pour
preuve la prestation du serment qu'il fit avec Hil- 857
duin, abbé de Saint-Denis, à Charles-le Chauve ,
lorsque le père de ce dernier, Louis-le-Débonnaire,
après l'assemblée d'Aix-la-Chapelle, lui eut concédé
la plus grande partie de la France. Girard oublia,
du reste , bientôt son serment; car, en 8^0, nous le
trouvons dans le parti de Lothaire , qui était l'en-
nemi de Charles. Pour servir les intérêts de son
nouveau souverain , qui lui avait confié la garde de
la Seine , il n'hésita point à détruire tous les gués, à
submerger toutes les barques et à démolir tous les
ponts qui se trouvaient sur celte rivière. L'histoire
ne nous apprend plus rien à son sujet.
Conrad, comte de Paris, après la mort de Louis-
le-Bègue , avait épousé Adélaïde , princesse que
Charles-le-Chauve avait eue de Richilde , d'abord
sa concubine, et plus lard élevée aux honneurs du
mariage légitime. Il prêta l'oreille aux suggestions 879
de Gozlin, abbé de Saint-Germain-des-Prés, qui
l'entraîna à former une cabale pour déférer la cou-
ronne de France à Louis, roi de Germanie, au
préjudice des enfans de Louis-le-Bègue. Le comte
et l'abbé eurent assez d'influence pour faire goûter
leur projet à une assemblée d'évêques, d'abbés et
d'hommes puissans; elle roi de Germanie , accep-
tant volontiers une offre qui souriait à son ambi-
— 42 —
lion , avait déjà passé le lUiiii pour occuper le Iroue
de Cliarleiiiagne.
Mais d'autres seigneurs, instruits des manœuvres
de l'abbé Gozlin et de Conrad , députèrent auprès
de Louis pour lui offrir une portion de l'empire
plus voisine de ses États et par conséquent plus fa-
cile à réduire sous sa domination. Cet abandon le
détermina à reprendre le chemin de son royaume ,
et il ne resta à l'abbé et au comte que la honte de
leur tentative.
Désormais notre tâche va s'agrandir, les comtes
de Paris sortent de l'obscurité et s'emparent du
principal rôle dans notre histoire, jusqu'à ce qu'ils
fondent la troisième dynastie de France. A leur
nom se rattachent de glorieux souvenirs pour no-
tre patrie; et sa grandeur militaire, son salut
môme , deviennent leur ouvrage.
Tandis que les fils de Louis-le-Débonnaire se dis-
putaient les débris de son empire, les hommes du
Nord, qui plus d'une fois avaient effrayé le génie
de Cliarlemagne, s'apprêtaient à quitter la mer des
Suèves et les vastes solitudes où le féroce Odin avait
établi son culte de sang. Deux passions font battre
le cœur de ces terribles guerriers : l'une l'amour, et
l'autre la gloire des combats. La guerre est pour eux
le chemin du FaUialla et la concjuête de la beauté. La
vierge Scandinave ne s'endort pas sur le sein du lâ-
che; Odin n'a promis les joies de son élysée qu'au
guerrier couvert du sang ennemi. La fortune de
l'homme du Nord , c'est sa bar^fue , c'est son éj)ée ;
— ^ô —
sa richesse , c'est le butin partout où il le trouve ; lu
source de son bonheur éternel, c'est la blessure ,
c'est la mort sur le champ de bataille. Ici bas même
leScalde consacrera ses vers à chanter sa valeur.
C'est avec ces idées que les Normands descen-
dent sur la terre de notre patrie. L'enthousiasme
de l'amour et de la gloire agrandit leur courage , le
fanatisme leur souffle ses énergiques inspirations.
Aussi l'épouvante et la désolation se répandent sur
leur passage ; on suit leur marche victorieuse guidé
par les débris des chaumières, à la lueur des incen-
dies ; Rouen devient la proie des flammes; [Nantes est ^^^
prise; Bordeaux éprouve leur fureur; les abbayes
de Saint-Pierre, de Saint-Paul, de Saint-Germain-
des-Prés, se changent en ruines ; Paris les voit avec
terreur menacer ses remparts.
L'épée de Charlemagne était alors remise aux
mains de Charles-le-Chauve, prince faible qui ne
parut jamais avoir du génie que pour s'emparer
de l'héritage de ses frères et de ses neveux. Mais
auprès du Irône était un homme d'un sang géné-
reux, grand de courage et d'héroïsme, c'était Ro-
bert. L'empereur lui confie la défense de la pairie,
et Robert s'en va conquérir sur les champs de ba-
taille le titre de Fort, en même temps qu'il préserve snii
son pays du pillage et de la mort. Il poursuit les
Normands dans toutes les provinces où ils ont
porté leurs ravages, jusqu'à ce que, sur les bords de
la Loire, à Briesartc, il lombe dans une sanglante
mêlée.
— u —
Une obscurité assez profonde règne sur son ori-
gine : chaque généalogiste dresse sa table d'après
ses vues; mais il est certain que sa naissance est
pleine d'illustration , et qu'il fut la véritable sou-
che de ces Comtes de Paris qui héritèrent du trône
de Charlemagne. Il ne faut point le comprendre
parmi les comtes de Paris ; il était duc des Fran-
çais, et on l'aurait vu, sans aucun doute, à la tète du
comté, si, dans le moment de sa fortune, le fief de
sa capitale n'eût été occupé par un autre seigneur.
Hugues, son frère, qui lui survécut, hérita de sa
puissance et réunit le comté de Paris au duché de
France. Les deux fils de Robert-le-Fort étaient
alors encore en bas âge : c'étaient Eudes et Robert,
qui,plustard,arrivèrentrun et l'autre à la couronne.
Hugues continua la lutte qu'avait commencée son
père contre les hommes du Nord; mais tous ses ef-
forts devaient être inutiles. De même qu'ils avaient
créé la fortune de Robert-le-Fort, les Normands
devaient faire la gloire de Eudes, son fils, et le met-
tre en quelque sorte sur le chemin de la royauté.
Telle est la pensée que résume cette noble devise
gravée sur la médaille du roi Eudes : Cœsis Norma-
niis et Lutetia obsidione tiberata.
Les hommes du Nord, en effet, malgré les dé-
faites que leur avaient fait essuyer Hugues et Ro-
bert-le-Fort, ne cessaient point leurs incursions.
En vain nos faibles monarques leur jetaient de
l'or à poignées , l'instinct d'une vie sociale plus
forte et moins aventureuse les poussait; et comme
— 45 -
ces tribus de la Germanie qui, quatre siècles aupa-
ravant, avaient pris possession de l'empire romain,
ils essayaient de trouver place sur une terre que
devait bientôt féconder la civilisation. D'ailleurs ,
l'exemple de leurs frères les tentait. Godefroy et
les siens avaient, sous Cliarles-le-Chauve, fixé leur
existence nomade dans le Cotentin, et Lothaire
avait cédé une partie de l'Anjou au vaillant Hérold.
Cette fois, ils s'avançaient sous les ordres de Sige-
froy, le plus terrible, peut-être, mais non le plus
heureux des rois de la mer; il commandait aux
chefs de puissantes tribus, et sept cents barques
portaient ses quarante mille guerriers.
Déjà ils ont franchi les flots de la Manche; la 885
Seine leur ouvre un passage jusque dans le cœur du
royaume ; et avant qu'on ait pu leur opposer la
moindre résistance , ils sont aux portes de Paris.
Sigefroy demande insolemment la permission de
traverser la ville , en promettant d'être inofFensif.
Mais Gozlin, qui gouvernait alors l'Eglise, se garde
bien de croire h sa parole : père de son peuple
pendant la paix, il veut être un de ses libérateurs
dans les périls de la guerre. Il repousse donc avec
fermeté les prétentions du barbare. Outré de colère,
etvainde sesforces, celui-ci répond : « Si j'étais assez
lâche pour me retirer, ma tête alors aurait mérité
l'honneur du glaive et puis la dent du chien. Si, ce-
pendant, tu ne cèdes à mes prières, mes forts, au le-
ver du jour, t'enverront des traits empoisonnés, à son
— if) —
coucher le fléau de Id j'aminv, et Us rcrommr7icero)ii
Ions les ans. »
Ainsi, dans sa pensée, comme autrefois Brennus
sur les débris de Rome, Sigefroy s'écriait déjà :
« Malheur aux vaincus ! » Mais la France ne devait
pas être rachetée au poids de Ter, elle avait aussi
son Camille : Eudes veillait pour elle.
Au lever du jour, Paris voit avec effroi se déployer
dans la plaine les troupes nombreuses des Nor-
mands. La foule éperdue se précipite dans les tem-
ples; les guerriers prennent place sur les remparts;
il se fait un silence profond et lugubre ; mais, au
dehors, des cris tumultueux et confus se font en-
dre ; des armes et des boucliers s'entrechoquent ;
les Normands vont commencer l'attaque. A Tcxtré-
mité de l'île de la Cité étaient construits deux
ponts en bois, les seuls par lesquels on pût péné-
trer dans l'île; deux tours aussi construites en bois
servaient à en défendre le passage.
C'est là que les Barbares dirigent tous leurs ef-
forts ; car ils ne peuvent pénétrer dans la ville sans
s'être rendus maîtres des ponts. Mais Eudes avait
confié la défense de ce poste important à l'élite de
ses soldats et de ses chefs. Là combattait son frère
Robert, là combattaient Ragnacaire et le favori de
Mars, le redoutable E/Ae. Celui-ci avait quitté le froc
du moine pour revêtir la cuirasse des combats; ses
flèches, s'il faut en croire l'historien de ces guerres,
allaient chercher au loin les Normands, et d'un
seul trait il pouvait percer jusqu'à sept ennemis à la
— 47 —
lois ; puis, en riant, il ordonnait à leurs compa-
gnons de les porter dans les cuisines. Là on voyait
aussi le ponlife du Christ, Gozlin,armé de la croix.
Il réveillait l'espérance dans le cœur des soldats, et
appelait le ciel au secours de sa patrie ; quelquefois,
saisissant l'épée, il précipitait au bas des retranclie-
mens un ennemi trop audacieux.
Pour Eudes, il était partout ; chef et soldat tout
ensemble, il semblait multiplier ses bras et sa pen-
sée; c'était lui qui accablait les assiégeans d'une grêle
de pierres et de flots d'huile bouillante; et lorsqu'ils
se débattaient dans d'horribles angoisses, le Fran-
çais, spirituel et railleur, même au plus fort du
danger, s'écriait : « Allez rafraîchir votre chevelure
dans la Seine : ses eaux vous la répareront et vous
la rendront plus lisse.
Consternés de leurs pertes, les Normands veu~
lent se retirer dans leurs tentes; ils s'éloignaient
lentement des tours, lorsque tout à coup d'aflVeu-
ses imprécations retentissent : cp sont leurs fem-
mes échevelées qui s'avancent à leur rencontre
et les forcent à recommencer le combat. La lutte
devient plus sanglante; des pans de ces tours s'é-
croulent et laissent à découvert leurs redoutables
défenseurs. Mais le courage croît avec le })éril ;
chaque soldat se change en héros : l'ennemi cède
encore une fois et se retire.
A l'endroit qu'occupe aujourd'hui le faubourg
Saint-Cermain s'élevaient, à cette époque, de vasies
et épaisses forêts; c'élait à leui' proxiniilé que les
Barbares avaient établi leur camp. Sigefroy, avant
de recommencer l'attaque, fait abattre les plus
beaux arbres pour servir à la construction des
machines. Ensuite ses soldats forment, à sa voix,
une tortue de leurs boucliers, qu'ils ont recouverts
de la dépouille de taureaux. Sous ce toit impéné-
trable, ils bravent une incessante projection de
pierres et des flots d'huile bouillante. En vain
chaque trait de l'infatigable Eudes frappe à mort
un ennemi; en vain les soldats assiégés, et à leur
tête Ermanfred , Erilang, et le bel Ervée, que les
Normands, à la majesté de sa stature, prenaient pour
un roi, font dans leurs rangs de terribles ravages;
malgré leurs pertes, ceux-ci s'avancent au pied des
murs. Des taureaux, des fascines, des arbres en-
tiers roulent dans les fossés; on égorge les captifs,
et leurs cadavres comblent les retranchemens. En
même temps les ennemis font mouvoir d'énormes
machines et menacent d'achever l'écroulement
des tours. Eudes, toujours calme au milieu du
danger, fait saillir et fixe solidement de longues [)0u-
tres armées de dents de fer, contre lesquelles vien-
nentse briser les forteresses mobiles des Normands.
La fureur alors vient au secours de leur génie impuis-
sant; ils chargent de fascines trois de leurs barques,
et lorsque la flamme s'élève en tourbillons, ils les
lancent sur le courant du fleuve pour en incen-
dier les tours. Toute la ville est émue de terreur à
ce spectacle: les femmes, les vieillards courent
aux temples; enlevées du sanctuaire, les reliques
— iS) —
(les saints , sont promenées solennellement dans
Paris pour cpi'ils protègent la ville par leur pré-
sence; les boucliers des ennemis s'entrechoquent
en signe de triomphe ; Eudes et les siens veillent
attentifs sur les remparts. Mais le danger et l'amour
de la patrie inspirent une grande résolution à trois
hommes généreux : au péril de leur vie, ils se pré-
cipitent dans le fleuve pour détourner l'incendie ;
le ciel a béni leur courage, car ils viennent à bout
de remonter, mais couverts de sang et noircis de
fumée; contemplant bientôt avec joie , au milieu
de leurs frères, les barques enflammées qui s'abî-
ment dans la Seine.
Vaincus, les Barbares, pour le plus grand nom-
bre, vont porter leur honte et leurs ravages vers
des régions plus occidentales de la France, dans
les pays que féconde la Loire. Eudes envoya bien
au secours des provinces dévastées, mais la résis-
tance y fut moins vive qu'à Paris ; et le Normand,
couvert de butin , fatigué de carnage , put à la fin
songera revoir la mer des Suèves. Cependant, avant
de quitter pour toujours le littoral de la France,
Sigefroy ramena ses soldats autour de Paris: peut-
être espérait-il surprendre la ville , se flatlait-il
d'obtenir le passage. Quoi qu'il en soit, il demande
une entrevue à Eudes, qui y consent. Mais à
peine commençait-elle , que les perfides compa-
gnons du roi barbare, soit par son ordre, soit de
leur propre mouvement , tentent d'envelopper le
comte et de l'enh aîner dans leur camp. Eudes s'en
— 50 —
aperçoit; appuyé sur sa javeline, d'un saut ii fran-
chit le fossé, et, se retournant contre ses lâches
adversaires, tel qu'un lion surpris, il les repousse
jusqu'à ce que ses compagnons viennent à son se-
cours. Frappé de tant de valeur, Sigefroy s'écrie :
Abandonnons La place , notre devoir n est pas de res-
ter ici , mais de nous retire^-. En effet, peu de jours
après il reprit le chemin de sa patrie.
Cependant Paris restait toujours pressé par les
Barbares; car peu de chefs avaient voulu suivre
leur roi : au dehors la guerre, au dedans la mala-
die engendrée par la putréfaction des cadavres et
la disette. Dans ces extrémités, Eudes confie la
garde de la ville au vaillant abbé Eble, et va chercher
des secours en Germanie. Après une absence de
quelques jours, il reparaît sur la montagne de
Mars (aujourd'hui Montmartre), à la tête de quel-
ques délachemens que lui avait donnés l'empereur
Charles-le-Gros, L'espérance renaît à son approche
dans le cœur des Parisiens; malheureusement ii ne
peut dérober sa marche à ses vigilans ennemis, qui
prennent à la hâte leurs armes, traversent le fleuve,
et viennent s'opposer à son passage. Ce fut là pour
Eudes la cause d'un nouveau triomphe; il se fraie
une route le fer à la main, pendant que Eble et
les siens s'avancent à sa rencontre et lui ouvrent les
portes de la ville.
ssf; Moins actif, l'empereur Charles arrivait de son
côté, conduisant une armée nombreuse. Il eût pu
écraser les Normands; il préféra leur accorder un
— 51 —
passage et leur promettre 700 livres. La mort vint
l'enlever à l'indignation , au mépris des Français.
Sur ces entrefaites, les Barbares, après être des-
cendus en Bourgogne, sillonnaient de nouveau la
Seine et menaçaient Paris. Mais Eudes, que la
reconnaissance publique avait élevé au trône
de France, remplit l'attente de son peuple, en
rentrant sur le champ de bataille et achevant de
disperser les débris des Normands. Ln fait d'armes
signalé illustra les derniers combats qu'il eut
à leur livrer. Une bande de dix mille Normands
s'avançait sur Paris ; Eudes, qui en est informé,
prend avec lui mille compagnons seulement et tra-
verse la plaine. Lorsqu'il est au pied de la montr.-
gne du Faucon , ii croit entendre dans le lointain
un bruit semblable à un cliquetis d'armes. Restez
ici, dit-il à ses soldats, et quand vous enteyidrez les sons
du cor, vous marcherez, L'épée à la main, il gravit
le rocher ; Eudes ne s'était pas trompé, c'étaient
les ennemis; il sonne du cor, ses compagnons pré-
cipitent leur course et tombent presqu'à l'impro-
viste sur les Normands. Ceux-ci en vain se défen-
dent avec courage ; les Français, animés par leur
roi , remportent la victoire.
Au reste , ce ne fut pas aux Barbares seulement
qu'il fit éprouver sa valeur et la supériorité de son
génie militaire, les seigneurs eux-mêmes ne lardè-
rent pas à voir qu'ils s'étaient donné un maître.
Le vaillant Adhémar, le premier, ressentit les elle Is
de sa vengeance. Los liens du sang l'unissaiml ù
— ;;2 —
Endos; plus d'une fois il avait signalé son courage
pendant le siège; fier de ses services, il vil d'un œil
jaloux le roi confier à Robert, son frère, la garde
(le Poiliers. L'envie lui met les arraes à la main ;
une fois même il surprend pendant la nuit les trou-
pes de son prince. Au tumulte qui règne dans le
camp, aux cris des blessés et des mourans, Eudes
est bientôt sur pied et se hâte vers le lieu du désor-
dre. Juger le danger et en indiquer le remède,
donner des ordres, ranimer le soldat par sa parole
et par son exemple, ce fut l'affaire d'un instant.
Remise de son effroi , son armée résiste et finit par
mettre en fuite celle du comte Adhémar. L'Aqui-
taine, que ce dernier gouvernait, fut soumise; le
roi, poussant sa marche victorieuse, et s'engageant
dans les montagnes de l'Auvergne, en chasse le
comte Guillaume, que l'exemple d'Adhémar avait
entraîné.
893 Fort de tant do victoires, Eudes espérait enfin
pouvoir gouverner en paix, lorsqu'il apprit que les
seigneurs, et entre autres Herbert, comte de Ver-
mandois , venaient de faire sacrer à Rheims le
jeune Charles, plus tard surnommé le Simple, fils
posthume de Louis-le-Bogue. Eudes reprit les ar-
mes , mais sa présence seule suffit pour mettre en
fuite ce rival, qui, fugitif, alla réclamer l'appui du
roi de Lorraine. Zuentibold, indigne fils du grand
Arnolphe, lui offrit son épée qui ne servit à rien,
car il savait mieux fuir que combattre. La mort
vint délivrer Charles de son redoutable compéli-
— DO —
leur. Dt's liisloiiens rapporlenl cju'Eudes, à Sii
dernière heure, en proie à de vaines terreurs de
conscience, recommanda de rendre la couronne
aux descendans de Charlemagne. Celait terminer 8î>>>
par un acte de faiblesse une vie toute pleine de cou-
rage et d'héroïsme : tant il est vrai que les hommes
les plus éminens se rattachent toujours par quelque
point à la misère de notre liumanité; il est rare
surtout qu'ils échappent à l'influence des préjugés
de leur siècle. Eudes, en présence du tombeau ,
leur rendit un dernier hommage.
Mais Robert, qui n'élait point élt-ndu sur sou lit
de mort , pensait autrement ; peu satisfait de son
titre de comte de Paris, il enviait le poids du sceptre
tju'avait porté son frère. Comme Eudes , hi gloire
des combats le signalait à la nation; car sur le
champ de bataille, sur la brèche, partout il avait
montré un haut courage et lait preuve de grands
talens militaires. Depuis l'avènement de Charles-lc-
Simple au trône, les Normands n'eurent pas d*^
plus redoutable ennemi.
La patrie, (jui comptait sur sou épéu , Ncnait de
mettre entre ses maiîis le soin de sa déiense , car
d'autres Barbares avaient récemment déserté les fo-
rêts du iNord. A leur tète marchaient Gerlon et
Raoul ou Rollon, le plus heureux des rois de la mer. -'H
Abandonnant l'Angleterre, après l'avoir ravagée ,
ils étaient venus se replier sur la Fiance et s'avan-
«;aient vers Paris. Dans une seule rencontre, Robert
leur tua <,vpi mille hommes, et il ail lit j)ouisui\ie
— 5-4 —
ses succès, lorsqu'il apprit que Ctiarles-le -Simple,
fatigué d'une lutte sans cesse renaissante, sollicitait
la paix. D'ailleurs le temps était venu pour les
hommes du Nord de prendre enfin position sur la
terre de France ; et Rollon, par sa conversion à la
foi du Christ, et par son mariage avec la fille du
roi, cimenta l'union dès lors indissoluble des deux
peuples. Robert servit de parrain au chef barbare,
dont le nom fut depuis et pendant long-temps,
dans la Normandie, comme une invocation à la jus-
tice même, Gerlon se fixa dans le comté de Blois.
Jusque là Robert avait étouffé son ambition se-
crète : le danger de la patrie l'avait emporté sur son
intérêt personnel. Mais lorsque Charles, débarrassé
(les Normands, se fut abandonné à de lâches com-
plaisances pour son favori Haganon ; lorsque ce-
lui-ci eut accumulé sur sa tête les dignités et les
honneurs, le comte de Paris, blessé dans son or-
i^ueii , frémit d'indignation. Les seigneurs entrent
dans ses vues; Gislabert, duc de Lorraine, enve-
nime les esprits; mais Hugues-le-Grand est dé-
pouillé de l'abbaye de Chellcs en faveur d'Haga-
non : c'est le signal de la révolte ; Robert lève le
masque, et en appelle à son épée de la justice de
sa cause.
L'imbécile monarque, content s'il peut sauver
son favori, abandonne la capitale, et, sur les pas
d'Haganon , va chercher un asile chez Herbert,
comte de Vcrmandois.
Pendant ce temps, Ruberl fait piller les trésors
DO
<lu favori et les distribue à ses soldats. Sa valeur ,
ses nobles qualités lui captivent les cœurs, que le
roi s'aliénait par son caractère étroit et son favori-
tisme injuste; il reçoit à Rouen, des mains de l'ar-
chevêque Ervé, la couronne de France. Trois jours
après, le prélat mourut, et les préjugés du temps
attachèrent à sa mort l'idée d'une punition divine.
Mais à l'abri de ces terreurs vulgaires, le comte
de Paris, sacré roi, continuait à soutenir son scep-
tre par son épée ; tandis que Charles, à force de
bassesses, mendiait le secours de l'empereur Henri-
rOiseleur. Robert sut déjouer ses manœuvres.
Réduit à ses seules forces , Charles se hâte d'as-
sembler ses troupes afin de surprendre son rival.
La renommée plus agile le devance ; le comte se
met à la tête d'une poignée d'hommes et vient éta-
blir son camp vers la rivière d'Oise. Trop de pré-
somption cependant lui devint funeste. Echauffé
par tant d'outrages , le prince sent un instant dans
ses veines l'ardeur du sang de Charlemagne. Il
passe sans bruit la rivière, à l'heure où les compa-
gnons de Robert se livraient dans leurs tentes à un
modeste festin. Les sentinelles tombent sous ses
coups; en un clin d'œil le camp est envahi : Ta-
larme se répand, les coupes sont renversées; les uns
se retranchent derrière les tables, d'autres s*arment
de leurs boucliers. Mais Robert est à cheval, il ra-
nime les siens, et bientôt les troupes du roi faiblis-
sent. Des historiens ont avancé qu'en ce moment
(Uiarles, apercevant son rival, piqua dioit à lui, rt
— 5(j —
cl un lieureux coujj de lance lui perça le cœur.
•^25 C'eût été là sa plus belle fortune; mais peut-être ce
fait d'armes appartient-il plus au roman qu'à
l'histoire. Quoi qu'il en soit, la mort de Robert ne
procura point la victoire à Charles. Robert laissait
à son armée un homme de ressource et de génie :
c'était son propre fds, Hugues-le-Grand, qui,
ralliant les troupes abattues de son père, vint à bout
de repousser l'ennemi et de se rendre maître du
champ de bataille.
Désormais il va occuper l'histoire presque à lui
seul. Le trône était vacant; s'il n'eût été qu'un
prince ordinaire, il y fût monté, malgré les seigneurs
qui redoutaient sa supériorité. Toutefois, pour ne
pas blesser son orgueil, ils feignirent de remettre
l'élection d'un roi à l'aimable et spirituelle sœur de
Hugues. Contrainte de choisir entre son frère et
son époux, Raoul de Bourgogne, Emine répondit:
J'aime mieux baiser les genoux à mon mari quà mon
frère, [Baiser les genoux, dans la langue féodale
signifie faire hommage. )
Raoul de Bourgogne prit donc la couronne; mais
(îlle était environnée d'écueils. et bientôt il eut à la
défendre contre les attaques de Charles, appuyé
sur les forces de la Germanie. Hugues prit en main
la cause de son beau-frère et la fit triompher.
Cependant Raoul fut obligé d'entrer en guerre
contre ses vassaux eux-mêmes ; car, tandis que
(4harles expiait dans les tours du château de Pé-
ronne son excès de confiance dans l'hospilalité du
— 01 —
comte de Vcrmandois, celui-ci , aiiibilieux et inlri-
gant, levait l'étendard de la révolte contre son nou-
veau suzerain. Guillaume, duc d'Aquitaine, de son
coté en faisait autant. Pour le comte de Paris, tran-
(juille spectateur de ces débals, il laissait à Raoul
tout le poids de la guerre ; il avait bien pu lui prêter
son appui contre le fils de Louis-le-Bègue , mais ii
était trop ardent champion de la noblesse pour le
servir contre les seigneurs. C'était un moyen , il est
vrai, d'affermir lui-même sa puissance , quoiqu'en
même temps il favorisât le développement de cette
féodalité qui devait coûter tant de peine à ses
nombreux successeurs.
Toutefois , lorsqu'il vit qu'Herbert , réduit aux
abois, menaçait de tirer Charles de prison pour le
mettre en présence de Raoul, interposant son au-
torité entre le suzerain et le remuant vassal, il
força ce dernier à souscrire à la paix. Charles resta
dans sa prison, où la mort seule put briser ses chaî-
nes. Six ans après, Raoul mourut. C'était la seconde ' "
lois que la couronne venait s'offrir à Hugues : il la
refusa encore. On s'est étonné de ce double relus ;
mais, comme le remarque M. de Sismondi, le comte
de Paris semble avoir considère le pouvoir d'un sei-
gneur kérédi taire dans ses fie fs , comme beaucoup plus
satisfaisant pour C ambition que la prérogative d'un
roi électif sur des vassaux inquiets et indépendans. Il
avait déjà considérablement étcridu f héritage de sa.
famille; il comptatt C étendre encore', mais il voulait
donner à toutes ses usurpations la sanction de Caa~
— 58 —
torilé royale , et il jugeait (fu elles sciaient bien plus
respectées par les autres vassaux ou par les souverains
qui viendraient ensuite , s'il mettait^ entre eux et lui,
le nom d*un roi légitime, celui d'un roi dont il serait
le maître, que s'il s'exposait à voir contester en même
temps et l'acquisition qu'il avait faite, et son propre ti-
tre à la couronne. Tous les grands du midi des Gaules
et de l'Aquitaine avaient, dans Us dernières guerres
civiles , prétendu vouloir demeurer fidèles au sang
de C harlemagne, Hugues compta qu'il les gouverne-
rait au nom du dernier descendant de cet empereur.
En Angleterre, retiré dans la cour du roi Athels-
lan, vivait le dernier rejeton de la race carlovin-
gienne. C'étaitLouis, surnommé d'Outre-mer, que
samèreOdgive, princesse courageuse, avait emporté
à travers les flots , après la captivité de Charles-le-
Simple. Hugues déj)ute Auségise, archevêque de
Reims, vers le jeune roi; et lui-même, au milieu
de la foule nombreuse et brillante des seigneurs, il
va le recevoir sur la grève de Boulogne. Louis, re-
connaissant, fait don au fds du comte, le célèbre
Hugues Capel, d'une partie du duché de Bourgogne.
Mais la bonne harmonie dura peu. Le monarque
s'aperçut bientôt qu'il était en tutelle; assez fier et
assez courageux pour oser secouer ses chaînes, il ôtc
1)50 à Hugues-le-Grand l'intendance générale des affai-
res. En même temps il le frappe dans ses amis; fait
abattre les forteresses qu'Herbert avait élevées à
Laon, et menace de raser toutes celles du rovaume.
Hugues n'était pas liunnne à courber la tôle ; il sr
— d9 —
ligue avec Herbert, achèle l'alliance d'Ollion-le-
Grand , empereur de Germanie, en épousant sa
sœur Hawinde, et appelle sous ses drapeaux le duc
de Normandie. La guerre éclate de toutes parts ;
l'empereur entre en France ; Hugues , secondé
d'Herbert, va mettre le siège devant Laon, où Louis
n'échappe au danger d'une surprise que par la
perle de ses plus vaillans chevaliers. Fugitif dans
son propre royaume , le malheureux monar-
que, trop faible contre un sujet , va chercher un
asile dans la ville de Vienne et invoque à son se-
cours les foudres de l'Eglise. Le pape s'empresse
d'intervenir et menace le comte; mais celui-ci ne
se hâtait guère d'obéir, lorsqu'Othon , gagné par
Louis, cherche à l'épouvanter à son tour. L'empe-
reur parlait à la tète d'une puissante armée; Hu-
gues trouva ce langage plus persuasif que celui de
Rome et consentit à la paix.
Tant que la bonne harmonie dura, le roi put ré-
primer les prétentions de ses insolens vassaux.
Ainsi les fih d'Herbert, héritiers de l'ambition de
leur père, étant prêts à l'imiter, le comte rabat-
tit leur orgueil ; il reçut en récompense le reste
du duché de Bourgogne , et le titre de duc des
Français, agra7idissement , dit Mézerai, qui renversa
depuis la postérité du roi, mais qui, pour lors , ac
commodait ses affaires.
La guerre de Normandie vint jeter de nouvelles l)4ô
semences de discorde. Après la mort de Guiliaumo-
Longue-Épée, Louis, qui portait des regards do
— GO —
convoitise sur celle province, avait attiré à sa cour
le jeune Richard, sous prétexte de lui servir de tu-
leur. Il ne sut pas assez dissimuler son intrigue; un
jour même, sans grande cause, couleur ii'occasio?i,
le prlnt à menacer et à injurier ; lui dit que s'il ne se
rluislioit et gouvcrnoit autrement, il lui ferait et Cos-
leroit de tout honneur.
Ces paroles menaçantes eflVayèrent Osmond ,
chevalier et compagnon fidèle du jeune prince ; il
lui recommanda de feindre une maladie; et pen-
dant que le roi faisait festc solennelle, et que les gardes
s'en alloient en La salle ^ l'un çà, l'autre /à, pour voir
la feste y le chevalier print l'enfant, le lia dans un fais-
ceau d^ herbe verte , et sous un manteau le porta hors
jusqu'à Coucy en- V allais.
Bernard-Ie-Danois , qui était le seigneur de ce
lieu , prend Richard sous sa protection, et tâche
d'intéresser Hugues à la cause de l'orphelin. Le
comte promet son appui ; mais le roi se haie de
lui proposer en récompense de ses services , les
seigneuries d'Evreux cl de Bayeux ; i'ambilion
lui fait oublier sa parole. La guerre commence ,
ot la fortune suit les }>as de Hugues. Trop faibles,
les Normands ont recours à la ruse : ils feignent
(le se soumeltre au roi , qui , l'cçu dans Rouen
avec magnificence , ordonne au comle de sus-
pendre ses ravages. Frustré dans son esj)oir, l'am-
bitieux Hugues rentre à Paris, en jurant dans son
cœur de courroucer le roi. Il y élait à peine arri\é
!i4o que Bernard, voulant mellre fin à l'inlrigue dont
— 61 —
Louis était le jouot, va trouver Hugues, et, se pre-
nant tout d'abord à rire, lui dit : « Or ça, seigneur,
avez-vous corKjuété Normandie ? Comment va ta he-
songne ? Foiidriez-vous point aider à Richard ? r> Et
lors ledit Hué répondit : « Le roi en a fait dépendre
du mien, et m'a travaillé et failli de promesse, mais,
si je trouve opportunité. Je m^en vengeray. » L'occa-
sion ne larda pas à seconder ses vœux.
Bernard avait appelé au secours des Normands
liarald ou Aigrold , roi de Danemarck; et pour ti-
rer vengeance de Louis , il avait conçu le dessoin
de le faire prisonnier; mais, effrayé lui-même de la
hardiesse de son projet, il charge de l'exécution le
monarque danois, et demande l'adhésion de Hu-
gues, qui consent à tout. Aigrold ravage nos pro-
vinces pour attirer contre lui toutes les forces du
roi. Louis pari en effet de Laon à la têle de ses
Iroupes. Au bruit de son arrivée, Aigrold simule
quelque crainte et sollicite une entrevue. Fier d'un
hommage qu'il croit rendu à sa supériorité, Louis
l'accorde sans peine; mais pendant que les deux
princes s'abouchent, les Normands cherchont,
à dessein, querelle aux Français; les armes sont
tirées, les seigneurs de la suite du roi succombent,
et lui-même , cherchant son salut dans la fuite , est
arrêté, puis conduit, par Bernard, prisonnier
à Rouen.
A cette nouvelle, la reine Gcrbcrge remplit I'Fai-
rope de ses plaintes; elh; implore le secours do
l'emporour Henri; olle conjure Hugues de délivrer
— (r2 —
son ôpoux. Le comlc; iiUervi(3nl en ellel, tlùli-
vre le roi ; et lui, qui avait trempé dans cette in-
trigue, est ainsi assez heureux pour devoir s'attri-
buer sans conteste le nom de libérateur de son
prince. Sa protection coula à Louis le château de
Laon.
La bonne harmonie se trouvait donc rétablie en-
core une fois entre le souverain et son vassal ; mais
les craintes du roi devaient promptement la dis-
soudre. Hugues avait fiancé sa fille bmine au jeune
Richard, duc de Normandie. Louis fut effarouché
de cette alliance; voulant la briser, il appela le
secours d'Arnould de Flandre, qui redoutait le
voisinage des Normands, et Othon, empereur d'Al-
lemagne, qui rêvait déjà les dépouilles promises
de la Lorraine. Hugues, dès lors poussé à la ré-
volte, prend les armes, balles troupes d'Othon et
le renvoie mûrir ses rêves dans son empire. Après
cette défaite, Louis, qui n'était pas de force à lutter
seul, rentra en bonne intelligence avec son vassal.
Cette fois la paix fui de longue durée. Le roi mou-
rut.
Malgré ses rivalités constantes avec le comte ,
Louis, à sa dernière heure, lui recommanda son fils
Lothaire. Hugues, qui n'avait point cédé à la puis-
sance des armes, touché de tant de confiance, ac-
cepta la tutelle du jeune prince. Sous ses auspices,
Lothaire prit possession du trône et reçut la cou-
ronne, à Reims, au milieu des seigneurs assemblés.
Un dernier exploit illustra la vie de Hugues :
- 65 —
Guillaume, Tête-d'Etoupes , comte de Poitiers, re-
fusait de se reconnaître son vassal, à l'occasion du
duché d'Aquitaine, que le comte de Paris avait
reçu du jeune roi Lolhaire lorsque celui-ci monta
sur le trône. 9iS5
En peu de jours Hugues eut levé des troupes
et vint camper devant Poitiers. Le ciel parut pren-
dre la défense de Guillaume : une tempête affreuse
s'éleva ; la pluie tombait par torrents ; des éclairs
redoublés déchiraient les nuages; la foudre fendit
même le pavillon de Hugues, dont les soldats, épou-
vantés, s'enfuirentde leurs tentes. Dans ce désordre,
l'Aquitain se livre à l'attaque; mais le comte par-
vient à rassurer ses troupes, et Guillaume laisse
le champ de bataille jonché des cadavres des siens:
ce qui mit un terme aux combats ; ici finit la lon-
gue carrière de Hugues. Il avait vu s'éteindre deux
règnes entiers : ceux de Raoul et de Louis-d'Outre-
mer ; il avait hâté l'agonie de la puissance de Ghar-
les-le-Simple , et, sur la fin de ses jours, il gérait 050
la tutelle et soutenait le trône de Lothaire.
Arrêtons-nous un instant. L'histoire des comtes
de Paris nous présente une série d'hommes qu'on
peut appeler grands, comparativement à l'époque
où ils vivaient et aux monarques pusillanimes dont
ils démembraient pièce à pièce la royauté. On di-
rait qu'il en est de la destinée de certaines familles
comme il en a été de la destinée de tous les peu-
ples jusqu'à nos jours. Des profondeurs de la Bar-
barie ils so sont élevés pas à pas à un degré plus
— G4 —
ou mollis liîuil lie civilisation , el puis , comme si
celle marclie avait usé leur vie et leur puissante
organisation, après être restés quelque temps sta-
tionnaires, ils ont redescendu l'échelle sociale
pour aller se retremper dans la Barbarie, qui est
l'enfance des nations.
La famille des Pépin, sous la première race,
une fois sortie de l'obscurité par le mérite per-
sonnel de son chef, s'élève rapidement à ses hautes
destinées. Mais là son rôle finit; elle avait donné
à la France des maires du palais d'une rare verlu
militaire et d'une habileté incontestable ; par un
dernier effort, elle produisit Charlemagne , qui
emporta avec lui dans la tombe le génie et la gran-
deur de sa race.
Robert commence la fortune des comtes de Pa-
ris ; il est le plus brave et le plus heureux des
guerriers de son temps. C'était par les armes que sa
famille devait arriver au trône , et l'art de la guerre
se retrouve en action chez tous ses descendans jus-
qu'à ce qu'ils aient atteint leur but. C'est sur le
champ de bataille que Eudes et Robert conquièrent
leur gloire et leur titre de roi; c'est les armes à la
main que Hugues-le-Grand fonde sa puissance et
qu'il la soutient. Il est sans contredit le plus grand
des comtes de Paris : brave , actif, ambitieux , en-
treprenant, il avait toutes les qualités nécessaires
pour faire un usurpateur. Il mène en quelque
sorte à son terme la destinée de sa famille ; cl puis
on voit la race de Roborl-lc-Forl sensiblement dé-
— 6o —
cliner. Assise sur le trône da France , sous le nom
de dynastie capétienne, les premiers rois qu'elle
donne à la France ne remplissent pas i'allenle
qu'avaient fait concevoir les comtes de Paris. Les
historiens modernes ont criliqué avec amerlume
l'indolence et la faiblesse des premiers capétiens.
Leurs reproches sont en géîiéral fondés ; il n'est
pas vrai, cependant, que ces rois aient manqué
tout-à-fait d'énergie et de résolution. Lisez leur
histoire , vous les verrez Intervenir sans cesse soit à
main armée , soit par des négociations dans les af-
faires du comté de Bourgogne , du comté d'Anjou ,
du comté du Maine , du dacké d' Aquitaine , du du-
ché de Normandie ; en un mot , dans les affaires de
tous leurs voisins et mêma des seigneuries fort éloi-
gnées d'eux.
D'ailleurs, les cii constances étaient changées ; il
ne faut pas perdre de vue le caractère de l'élévation
de Hugues Capet au trône; elle fut, nous l'avons dit,
ime transaction avec les seigneurs, et dès lors il ne
pouvait affecter l'indépendance et ressaisir la toute-
puissance de Charlemagne. Quoi qu'il en soit, il
est vrai de dire qu'il n'avait ni la hauîeur ni le
génie de son père. Hugues Capet parvint à son
but en flattant le clergé et la noblesse. Hugues-le-
Grand marchait à Texécution de ses desseins en
bravant les résistances partout où il les rencon-
trait. Il renouvela l'étonnant spectacle que nous
présente la fin de la première race : un roi sm- le
trône, et, plus puissant que lui, un sujet qui l'écrase :
3
— f>0 —
l'Élnt marchant ainsi avec une double tête, jusquà ce
que la plus forte fasse sécher L'autre.
Hugues-le- Grand laissa quatre (ils : Othon et
Henri, qui successivement occupèrent le duclié de
Bourgogne; Odon ou Eudes, qui s'engagea dans
les ordres sacrés, et Hugues , surnommé Capet ;
celui-ci n'était encore âgé que de dix ans à la
mort de son père. On dit que Hugues-le-Grand ,
redoutant pour son fds les dangeis de la mino-
rité en présence d'une rovauté rivale, le recom-
manda à Richard , duc de Normandie. Cette pro-
tection lui fut inutile; Hugues Capet resta paisible
possesseur de ses fiefs , et l'indolent T.othaire le
laissa grandir à l'aise jusqu'à ce que le comte de
965 Paris fût en âge de pouvoir agir et qu'il pût
rompre sérieusement avec lui : ce qui ne man-
qua pas d'arriver en etfet. La puissance de Hu-
gues fit ombréjge à Lothaire, et plus d'une fois
l'empereur Othon-le-Grand intervint pour les ré-
concilier. Rien cependant n'annonçait, dans le
comte de Paris, ni cette supériorité, ni cette ambi-
tion qui distinguent un usurpateur. Ses premières
années s'écoulèrent dans l'ombre , et il ne figura
comme un personnage important sur la scène po-
litique , que dans l'année 978 , à l'occasion de la
guerre qu'Olhon H, fils d'Othon-le-Grand, avait
déclarée à la France. Un jour qu'Othon H, sans
défiance, se trouvait dans son palais d'Aix-la-
Chapelle, Lothaire, qui redoutait ses vues ambi-
tieuses et qui crut le moment favorable, vint l'at-
— 67 —
laquer à l'improviste. L'empereur était à table, dî-
nant tranquillement avec sa femme lorsqu'il faillit
être surpris. Il envoya aussitôt un héraut annoncer
au roi de France que le 1^' octobre prochain il
irait le visiter dans ses Etats.
Olhon tint parole ; et le 4" octobre , après avoir
ravagé les diocèses de Reims, de Laon , etc., il ar-
riva sans résistance jusque sur les hauteurs de
Monlmartre; alors il envoya dire à Hugues Capet
qu'il allait faire chanter un Aiieluia , par tant de
clercSy qu'il le pourrait bien ouïr. Bientôt, en effet,
C Aiieluia commença; les cris tumultueux des sol-
dats et le bruit des armes se mêlèrent aux chants
des prêtres, et tout Paris put entendre retentir :
Aiieluia te martyr um candidatus laudat exercitus
Domine. Au reste, toutes ces grandes menaces
de guerre ne furent que de la fumée; il y eut
beaucoup de bravades et peu de sang versé ; un an
plus tard, la paix fut conclue, et Lothaire céda, 980
sans aucun motif, la Lorraine à l'empereur. Cette
concession et d'autres qu'il fit tout aussi mal à pro-
pos, attirèrent sur sa tête le mépris général. 11
mourut en 986 et fui enterré à Reims. A sa mort,
l'ambition de Hugues Capet parut devenir plus ac-
tive , mais son intrigue pour arriver au trône nous
échappe: il avait le talent de s'avancer dans l'om-
bre. Une agitation violente se manifeste de toutes
parts ; deux partis divisent la France : d'un côté , la
reine Emma, femme de Lothaire, avec son fils,
Louis V, dit le Fainéant ; de l'autre, Hugues Capet et
— b'8 —
quelques seigneurs remuans. Des mouvemens mi-
lilaires eurent lieu dans les diocèses de Caen, de
Reims, etc. ; ce furent surtout les soldais de la reine
qui , conduits par les comtes Olhon et Hériberl , dé-
ployèrent une grande activité; mais toutes leurs
opérations n'aboutirent qu'à faire tomber au pou-
voir du parti ennemi Emma avec Adalbert, évêque
de Laon , son favori ; Charles de Lorraine l'en-
ferma dans ses prisons. Dès ce moment la grande
affaire, comme l'appelait Gerbert, secrétaire d'A-
dalbert, archevêque de Reims , précipita son dé-
noûment. Louis V mourut le 21 mai 987, sans
avoir eu le temps de rien entreprendre. Cepen-
dant Hugues Capet s'était rapproché d'Othon ,
l'empereur de Germanie ; il avait pour lui le clergé
et quelques seigneurs puissans. Ce fut en vain que
Charles de Lorraine essaya de faire valoir ses pré-
tentions et de réclamer l'appui des grands du
royaume. Pendant qu'il intriguait , Hugues Capet
s'était fait saluer roi , à Noyon, par son armée , et
l'archevêque de Reims lui avait conféré l'onction
987 royale le 3 juillet 987. Sa vie désormais ne nous
appartient plus; il fut le dernier comte de Paris qui
jeta quelque éclat. Après lui, nous trouvons Odon ,
mais nous n'avons rien de particuher à dire sur son
sujet; les documens manquent pour l'histoire géné-
rale , et à plus forte raison pour l'histoire d'un sim-
ple seigneur. Nous savons seulement qu'en 1032
il mourut sans laisser d'enfans et qu'alors s'éteignit
le tilre de comte de Paris.
— GO —
Mais , par une inspiration d'autant plus augusle
qu'elle est toute due à un sentiment de gratitude
pour la ville de Paris , le chef de la dynastie cons-
titutionnelle vient, après un intervalle de plusieurs
siècles, renouveler ce titre en faveur du premier-
né de l'héritier présomptif du trône.
TROISIEMK SERIE.
4jbiâ ^^ï£è'^^ m^^ c^4iu^a^,
.*k>nimaire,
'Naissance lie Louis -IMiilippe- Albert d'Orléaus. — Le Roi, sou
grand-père , lui confère , iuunédiatenient après qu'il est né, le
titre de Comte de Paris. — Renaissance de ce titre. — Scène de
famille. — L'acte de naissance est r<5digé. —Le maréchal comte
Gérard et le maréchal comt« Lobeau y assistent connue témoins.
— L'archevêque de Paris , monseigneur de Quélen , se rend auv
Tuileries pour ondoyer l'enfant royal nouveau-né. — La ville de
Paris vote des réjouissances publiques en l'honneur de ces événe
mens.— Le Roi fait distribuer d'abondans secouj's. — Discours de
M. le comte de Rambuteau, préfet de la Seine.— Réponse du Roi.
— Laps de temps qui s'écoule entre la naissance, l'ondoyement et
les cérémonies du baptêm«. — Lettre du ministre des cultes aux
tîvêques du royaume, à l'occasion de la fête du Roi et du bap-
tême de son petit-fils. — Lettre de monseigneur l'archevêque dt^
Paris à tons les curés de son diocèse , sur le même sujet. — Fête
du Roi. — Article du Moniteur. — Grande réception à la cour à
l'occasion de la fête du Roi et du baptême du comte de Paris. —
Réception de monseigneur l'archevêque de Paris et de son clergé.
— Discours de monseigneur l'archevêque. — Réponse du Roi. —
Grâces accordées par le Roi. — Notice sur les baptêmes des fils et
des petits-fils des Rois. — Son Altesse Royale madame la du-
chesse d'Orléans, avec son fils, le comte de Paris, visite la sa'le
d'asile-modèle de la capitale. — Extrait du Moniteur Parisien
sur cette royale et intéressante visite. — Baptême du comte de
Paris. — Le préfet de la Seine remet au comte de Paris l'épee
qui lui est offerte par la ville de Paris. — Banquet royal. - Con-
cert du Louvre. —Conclusion,
C'est le vendredi 2^ août 1838 , qu'est né , au
château des Tuileries , Louis-Philippe-Albert d'Or-
l<éans , à qui le roi , son grand -j)ère , a conféré im-
— 72 —
médialcmcnt le lilre de comte de Paris. Dès dix
lieures du malin, tous les membres de la la-
millo royale , madame la grande duchesse de Mec-
klembourg, son altesse royale monseigneur le duc
de Wurtemberg , étaient réunis au pavillon Mar-
san. En même temps le roi avait fait avertir, par le
général baron Athalin , de se rendre au château,
M. Mole, président du conseil des ministres et ses col-
lègues; M. le baron Pasquier, chancelier de France;
M. le duc Decazes , grand référendaire ; M. Cauchy,
garde des archives de la chambre des pairs; MM. les
maréchaux comtes Lobeau et Gérard. Lorsque le
moment de la délivrance approcha, tous ces hauts
fonctionnaires furent introduits dans la chambre
de la princesse pour constater la naissance de l'en-
fant; il vint au monde à deux heures cinquante
minutes de l'après-midi. A la vue du nouveau-
né , M. Mole, dans un élan spontané de Tâme ,
s*écria : Nous avons un prince , et il s'empressa de
porter celte heureuse nouvelle aux personnes qui
se trouvaient réunies dans le pavillon Marsan.
Elle fut accueillie par des cris de : Fivc te Roi !
Là se trouvaient MM. Dupin , président de la
chanibre des députés; le comte Portalis, premier
[)résident de la cour de cassation; le comte Si-
méon , premier président de la cour des comp-
tes; le baron Séguier, premier président de la cour
royale de Paris ; le lieutenant-général comte Pa-
jol , eonimandanl la première division militaire;
le comte (!<• liand)uteau et M, Delosserl , [)rélV'ts; le
— /o —
général Jacqueniinol , chef de l'élal-major général
(le la garde nationale ; et les dames et les ofliciers de
!a maison du roi, de la reine et des princes.
Dans la cour du château stationnait une foule
nomhreuse, qui manifestait vivement sa satisfac-
tion, tandis que le canon des Invalides, par ses
cent une détonnations, annonçait à tout Paris la
naissance du prince.
Cependant il se passait dans la chamhre à cou-
cher de la princesse une scène toute d'attendris-
sement, toute de famille. Le prince royal , près du
lit de son épouse, laissait éclater son contente-
ment; la reine versait des larmes de joie ; et le roi,
profondément ému en songeant à ce nouveau gage
de la perpétuité de sa dynastie, tenait sa belle-
lille serrée dans ses bras.
L'acte de naissance fut rédigé sur-le-champ par
M. le baron Pasquier, chancelier de France,
président de la chambre des pairs, remplis-
sant, en celte occasion, d'après l'ordonnance du
23 mars 1816, les fonctions d'officier de l'état
civil. Il était assisté de M. le duc Decazes , grand
référendaire de la chambre des pairs, cl de
M. Cauchy, garde dos archives de celte cham-
bre.
!\L le maréchal comte Gérard et M. le maré-
chal comte Lobeau étaient témoins ; la famille
royale elle corps des minisires figuraient en qua-
lité d'assistans. L'acte de naissance porto donc les
signatures suivantes :
— 74 —
Louis-Pliilippe ;
iVIarie-Amélie ;
Ferdinand-Philippe d'Orléans ;
Auguste, grande duchesse douairière de iVkc-
klembourg ;
Henri-Eugène-Pliilippe d'Orléans ;
Anloine-Marie-Philippe d'Orléans ;
Clémentine d'Orléans ;
Eugène-Adélaïde-Louise d'Orléans ;
Alexandre, duc de Wurtemberg ;
Mole;
Barthe ;
Bernard;
Rosamel ;
Montalivet;
N. Martin (duiNord) ;
Salvandy ;
J. Lacave-Laplagrie ;
Maréchal comte Gérard ;
Lobeau ;
Pasquier;
Duc Decazes ;
Cauchy.
Sur la demande du roi , l'archevêque de Paris ,
monseigneur de Quélen, se rendit avec empresse-
ment aux Tuileries pour ondoyer l'enfanl. La cé-
rémonie se passa dans la chapelle du palais; c'é-
tait la reine elle-même qui tenait son petit-fils.
La ville de Paris vola des réjouissances publi-
ques en l'honneur de cet heureux événement, et
-• 75 —
la famille royale ne voulant point laisser de cœurs
tristes au milieu de sa joie , signala sa bienfaisance
par des largesses considérables. Le roi fit distribuer
des secours aux pauvres des douze arrondissemens
de Paris, aux pauvres de Compiègne, de Fontaine
bleau, à ceux d'Amboise, de Vernon, etc. ; la du-
chesse d'Orléans voulut qu'on délivrât à tous les
enfans nés dans la capitale le même jour que Son
Altesse royale, un livret de caisse d'épargne avec
mise de 100 francs. Un jour peut-être ces enfans,
sans autre dot que celle qu'ils tiendront de la muni-
ficence d'une mère, béniront la naissance de son
(ils !
Dans les provinces, l'allégresse publique ne se
manifestait pas moins vive qu'à Paris, et, de tous
les coins de la France, le roi recevait des félicita-
tions. Il serait trop long d'énumérer ici tous ces
témoignages de sympathies ; ils dédommagent bien
la dynastie constitutionnelle des attaques sourdes
et des clameurs des partis : c'est la meilleure preuve
qu'elle remplit la haute mission qui lui a été confiée.
Je passerai également sous silence les discours
qu'adressèrent au roi, en cette occasion, les grands
corps de l'Etat; mais je me plais à répéter les no-
bles paroles du corps municipal de Paris, lors-
qu'ayant à sa tête le comte de Rambuteau , préfet
de la Seine, il vint féliciter le roi, sanctionner le
titre de comte de Paris qu'il avait donné à son pe-
tit fils, et déposer une épée sur le berceau du jeune
prince :
76
« Sire ,
»Le corps municipal de Paris est profondément
touché et reconnaissant du sentiment quia inspiré
à Votre Majesté le cboix de ce titre de comte de
Paris, qu'elle a voulu donner au premier rejeton
de l'alné de ses fils. A ce titre se rattachent des
souvenirs augustes pour celte cité; il est de bon
augure pour l'avenir du prince qui le portera et
un lien de plus entre lui et nous.
«Aussitôt que la nouvelle a été connue à l'Hôtel-
de-Ville, le conseil municipal s'est assemblé; il a
volé des réjouissances publiques et le don d'une
épée au comte de Paris. Cette épée , dans la pen-
sée du corps municipal, ne doit point rappeler
celle de Charlemagne ou celle de Napoléon ; à l'es
prit de conquête a succédé l'esprit d'ordre et de li-
berté que votre règne fait aimer et estimer. Per-
mettez-nous de le dire, Sire, c'est une épée sembla-
ble à celle de Louis-Philippe que nous apportons
à son jielit-fils , c'est à dire l'épée (jui no sort du
fourreau que pour la défense du territoire ; 1 épée
du prince qui sait à la fois se faire respecter de
l'Europe et consolider en France le règne de la
liberté sous les lois. »
Le roi a répondu :
« Je suis bien touché des sentimens que mo
>> témoigne la ville do Paris dans colle circouslance
))et dont vous êlos le cligne organe. Il m'esl doux
j) de pouvoir présenter à la ville de Paris le premier
«rejeton de mes enfans en ligne directe, le fds aînô
>)de celui qui est appelé après moi à répondre au
>) vœu national et à en assurer l'accomplissement. Je
«jouis de voir se consolider de plus en plus le choix
» de 1830, et la France préservée des dangers insé-
«parables de toute vacance du trône, par cette se-
»rie d'héritiers que m'accorde la Providence et qui
» garantit à la fois la transmission du trône, et la
» durée de ce repos et de cette sécurité si nécessaires
» au bonheur de la nation. Pour moi personnelle-
» ment, j'éprouve une satisfaction toute particulière
» à faire porter à mon petit-fils le titre de comte do
» Paris. Enfant de Paris comme moi, il jouira de l'a-
u vantage de pouvoir porter un titre qui le rattache h
«notre ville natale, h la population au milieu de la-
» quelle j'ai été élevé comme il le sera, titre qui ma-
wnifeste à tous l'afTection que je porte à la ville de
«Paris, et combien j'apprécie les efforts généreux
«qu'elle a faits dans tous les temps pour défendre
» les libertés publiques. C'est le patriotisme dont
)>elle a donné tant de preuves à la France, c'est le
» dévoûment qu^elle a montré dans les circonstances
»les plus difficiles, c'est enfin le courageux appui
«que j'ai trouvé en elle, qui a fortifié la confiance
vdans la stabilité de ma race en la fondant sur la
)) défense et le maintien de nos institutions.
« Je vous remercie du don que vous m'annonce/
»pour mon petit-fils ; j'espère que les paroles dont
— 7S —
))Vous l'accompagnez seront gravées dans sa mé-
» moire, que celle épée sera dans ses mains la ga-
« ranlie de la paix, et que toujours prêt à l'employer
» pour préserver notre honneur national de toute
» atteinte, et notre territoire de toute invasion , ce-
» pendant elle ne sortira jamais du fourreau qu'à
«bonnes enseignes, et que, si elle en sort, ce sera
«toujours pour hâter le terme des maux de la
«guerre, et pour faire jouir la France de la plus
«douce et de la plus belle des conquêtes, la con-
» quête de la paix. »
De vifs applaudissemens avaient accompagné ces
paroles, lorsque tout-à-coup la Reine, inspirée par
un sentiment plein de délicatesse et de bienveil-
lance , vint présenter elle-même à l'assemblée son
petit-fds, et doubler la joie et l'effusion de cette
solennelle audience.
Plus de deux ans se sont écoulés depuis la nais-
sance du comte de Paris, jusqu'au moment où
l'on devait suppléer les cérémonies usitées dans l'é-
glise catholique pour les enfans qui ont été déjà on-
doyés ; mais pendant ce laps de temps , l'espérance
et l'intérêt qui s'attachent à ce rejeton d'une auguste
famille , ne se sont point démentis. On a suivi avec
une sorte de mélange d'inquiétude et de joie toutes
les phases de cette jeune vie; on a plus d'une fois
béni le ciel d'avoir préservé de tout péril les jours
de cet enfant si paré de grâces et si riche d'avenir. Le
Roi, qui connaît tout l'attachement que la France
laitière, et la ville de Paris en particulier, porte à
— TU —
son jeune comte, a voulu, pour rendre la cérémo-
nie du baptême de son petit-fils plus nationale et
plus solennelle , la faire célébrer le lendemain
même de sa propre fête.
r.etlre de monsieur le ministre de la justice et
des cultes à NN. SS. les évêques , à l'occasion de
la fête du lloi et du baptême du comte de Paris :
« Monseigneur,
» Le Roi a voulu que le jour de sa fête fût aussi
celui du baptême de son petit-fils, le Comte dk
Paris; la religion doit prêter son concours à cette
double solennité nationale. Le gouvernenoient
compte sur l'empressement dont MM. les Arche-
vêques et Évêques lui donnent chaque année des
preuves, et il s'en remet à vous , Monseigneur, du
soin d'appeler, par les prières de l'Eglise, les béné-
dictions du ciel, et sur le roi que la Providence a
toujours si visiblement protégé, et sur le j)rincedonl
la naissance fut im gage nouveau de la stabilité du
li'ône et de la perpétuité de nos institutions.
» Les autorités civiles et militaires s'entendront
avec vous sur les dispositions que vous prendrez à
ce sujet. J'écris à MM. les Préfets pour leur en don-
ner avis.
— 80 —
» Jiî vous prie, MonseigntMir, de vouloii hicMi
transmoUie , sans délai, niix curés et desservans
de voire diocèse, les inslruclions nécessaires, afin
qu'ils puissent se concerter à temps avec les auto-
rités locales.
>» Agréez, etc.
» Le G arde-des- Sceaux , ministre secré-
taire d'état de la Justice et des cultes ,
') N. Martin (du Nord). »
LETTRE DE MONSEIGNEUR L ARCHEVÊQl E DE PARIS
A TOUS LES CljntS DE SON DIOCftSE,
Sur le même sujet.
« Paris, le 20 avril i8/tl.
» Monsieur le Curé ,
1) L'église prie pour les princes, afin qu'ils ré-
gnent pour le bonheur des peuples. C4etle grâce,
nous la solliciterons avec plus d'empressement
cette année , où le Roi a voulu consacrer le lende-
main de sa fête par une solennité bien chère à son
cœur. Le 2 mai, les cérémonies du baptême seront
suppléées à Son Altesse Royale le comte de Paris.
Nous prierons le Seigneur de bénir cet auguste en-
fant; nous le prierons de bénir le monarque, de
le proléger, de lui envoyer le secours du ciel, de
le dêfendi'e, de le soutenir dans tous ses desseins
— 81 —
pour la paix t;t pour la prospérité de la France :
tels sont les vœux que nous ferons monter vers
Dieu , en chantanl le caniique du roi-prophète
consacré à les exprimer.
» En conséquence, le samedi 1^"^ mai, on chan-
tera dans toutes les églises paroissiales du diocèse la
messe des apôtres saint Philippe et saint Jacques,
du rit solennel mineur.
» On ajoutera à la messe les oraisons pour le Roi
et sa famille. [Missal. Paris» inter Oratlonvs ad di-
versa, n" 15.)
» A l'issue de la messe , on chantera le psaume
Exaudiat, le verset Fiat manus tua, et l'oraison
(^lœsumus omnipotens Deus,
» Vous vous entendrez avec qui de droit pour
l'heure de la cérémonie, et vous y convoquerez les
autorités qui ont coutume d'être invitées en pareille
circonstance.
» Recevez, Monsieur le Curé, l'assurance de mon
sincère attachement.
» -f Denis , Archevêque de Paris, »
PRÉFECTURE DU DÉPARTEMEiNT DE LA SEINE.
FÊTE DU ROI,
1*"^ Mai 1841.
Héceptions du corps municipal. — Le !•" mai , ù
midi , le corps municipal de la ville de Paris, avant
— 82 —
à sa lèle le préfet du département de la Seine et lo
préfet de police, se rendra en cortège au palais des
Tuileries, où il aura l'honneur d'être admis à pré-
senter ses hommages au Roi.
Distribution aux Indi^ens. — Le même jour, il sera
fait dans les douze arrondissemens municipaux de
la ville de Paris, par les soins de MM. les maires
et de MM. les membres des bureaux de charité ,
une distribution de secours en nature aux ménages
pauvres. Cette distribution s'opérera sur des bons
qui auront été d'avance délivrés par MM. les maires.
De neuf à dix heures du soir, dans les Champs-
Elysées, à la barrière de l'Etoile et à la barrière
du Trône, feux d'artillerie à étoiles et feux de
Bengale.
Réjouissances publiques les l*' e< 2 mai.
Depuis deux heures jusqu'à minuit, il y aura des
jeux et des divertissemens publics sur les divers
points ci-après désignés, savoir :
Champs-Elysées , grand carré. — Deux théâtres
sur lesquels seront représentées des pantomimes
militaires et nationales; quatre orchestres de danse,
un grand màt de cocagne garni de prix.
Le grand carré et la grande avenue des Champs-
Elysées, la place de la barrière du Trône et le jar-
din des Tuileries seront illuminés, ainsi que tous
les édifices publics de la ville de Paris.
Le 2 mai. Baptême du comte de Paris.
A onze heures, la cérémonie du baptême de
— 83 —
Son Altesse Royale Monseigneur le comte de Paris
sera célébrée dans l'église métropolitaine de Notre-
Dame.
Jardin des Tuileries. — A sept heures et demie
du soir, concert devant le pavillon de l'Horloge.
Feux cCartifice, — A huit heures et demie du
soir, il sera tiré simultanément deux feux d'artifice:
le premier sur le quai d'Orçay; le second à la bar-
rière du Trône.
Fait à Paris , le 26 avril.
Signé Comte «iî R\mbuti:au.
On lit dans le Moniteur:
« Les trois cardinaux français, M. le prince de
Cro5 , archevêque de Rouen , i\J. de Donald , arche-
vêque de Lyon, et M. de Latour-d'Auvergne-Lau-
raguais, évêque d'Arras , assisteront au baptême
de Son Altesse Royale le comte de Paris.
Monseigneur l'archevêque de Paris présidera à
la cérémonie. Il sera assisté par les évêques suf-
fragans de la métropole.
Le Roi , à l'occasion de sa fête, recevra :
Le 30 avril, à onze heures et demie du matin,
M. l'archevêque de Paris et son clergé;
A huit heures du soir, les dames du corps diplo-
matique;
A huit heures et demie, le conseil d'Efat;
— 84 —
Le 1" mai, à onze heures du malin , MM. les
aides-de-camp et officiers d'ordonnance du Roi el
des princes;
A onze heures et demie, MM. les ministres el
MM. les maréchaux de France ;
A midi, les grandes dépulalions de la Chambre
des pairs et de la Chambre des députés; les dépu-
tés; les députations de la Cour de cassation et de
la Cour des comptes; le conseil royal de l'inslruc-
lion publique; la députation de la Cour royale;
l'Institut; le corps municipal et les autres corps
constitués; M. le préfet de Seine-et-Oise et MM. les
maires de Versailles et autres du département;
MM. les officiers-généraux et supérieurs qui ne
font point partie de la garnison, ainsi que MM. les
fonctionnaires civils et militaires et autres;
Le même jour, à deux heures et demie, MM. les
officiers des gardes nationales de Versailles et au-
tres du déparlement de Seine-et-Oise ; MM. les offi-
ciers de l'état-major général des gardes nationales
du département de la Seine ; MM. les ofTiciers des
légions de la banlieue et de Paris; MM. les ofTiciers
composant l'état-major des invalides; MM. les gé-
néraux et les élats-majors de la place , ainsi que
MM. les officiers des différens corps de la garnison
de Paris, et MM. les officiers de la garnison de
Versailles.
A quatre heures, Sa Majesté recevra le corps di-
plomatique.
Le !i mai, à huit heures el demie du soir, il y
— m —
aura réception des dames. Les hommes seront ad-
mis.
Dispositions locales. — Le 30 avril , les voitures
de M. l'archevêque et du clergé, des dames du
corps diplomatique et du conseil d'Etat s'arrête-
ront au pavillon de l'Horloge^
Le 1" mai, les voilures des ministres et des ma-
réchaux s'arrêteront au pavillon de Flore.
Tous les corps et dépulations, reçus de midi à
deux heures et demie, entreront par le pavillon de
l'Horloge et le grand escalier.
MM. les officiers des états-majors et des légions,
ainsi que ceux des gardes nationales de Seine-et-
Oise, et des garnisons de Paris et de Versailles,
arriveront par la porte du Musée, et se réuniront
dans la grande galerie du Louvre, où ils pourront
entrer dès onze heures du matin.
Toutes les personnes admises le U mai, à huit
heures et demie du soir, entreront par le pavillon
de riJorloge.
GRANDE RECEPTION
A l'occasion de la Fête du Roi et du Baptême du comte de
Paris.
Vendredi 30 avril, à onze heures et demie du
matin, le roi, à l'occasion de sa fête et du haptême
du comte de Paris, son petit-Jils, a reçu, dans la
salle du Trône, M. l'archevêque de Paris, acconi-
— 8t) —
pagné de son clergé diocésain. Le prélat a pailé
au roi en ces termes :
« Sire ,
»Le désir le plus ardent du roi est de voir le
clergé de cette capitale marcher dans une voie de
conciliation et de charité. Cette voie, si conforme
à la nature de nos pacifiques fonctions, nous l'a-
vons suivie, Sire, et Dieu a daigné la hénir.
«Nous la suivrons avec plus de zèle encore, s'il
est possible , afin d'attirer de nouvelles et plus
abondantes bénédictions sur notre ministère. Nous
sommes heureux de donner au roi cette assurance.
Nous le prions de l'agréer avec bonté, persuadé
que nous ne pouvons lui souhaiter une meilleure
fête, ni lui exprimer des senlimens plus chers à
son cœur. »
GRACES ACCORDÉES PAR LE ROI
A l'occasion de sa Fête et du Baptême du comte de Paris.
Le roi, à l'occasion de sa fête et du baptême de
Son Altesse Royale le comte de Paris, sur le rap-
port de M. le garde-des-sceaux, ministre de la jus-
tice, a étendu sa clémence sur 187 individus con-
tlamnés par les tribunaux ordinaires.
Ils ont obtenu, savoir :
156, remise du reste de leur peine;
-- 87 —
28, des commutations ou des réductions;
3, remise de la peine accessoire de l'exposition.
Conformément aux intentions de Sa Majesté, les
grâces qu'elle a daigné accorder recevront partout
leur exécution le i" mai.
Le roi, sur la proposition de M. le maréchal duc
de Dalmatie , président du conseil et ministre de la
guerre , a aussi étendu sa clémence sur 520 mili-
taires condamnés à diverses peines par les conseils
de guerre.
Ils ont obtenu , savoir :
356, remise du reste de leur peine;
157, des réductions;
5, remise de la peine accessoire de l'incapacité
de servir dans l'armée ;
2, remise de la peine accessoire de l'incapa-
cité d'occuper aucun grade dans l'armée.
Par décision du 30 avril, le roi a daigné faire re-
mise du reste de trois années d'emprisonnement
prononcées le 31 janvier 18^0, contre le nommé
Quarré (Alexandre), pour attentat.
S. M. a également fait remise de la peine de cinq
années d'emprisonnement prononcées le 31 janvier
i8/i0, contre le nommé Longuet (Jules), pour at-
tentat à la sûreté de l'Etat.
NOTICE
SUR LES BAPTÊMES DES FILS ET DES PETITS-FILS DES ROIS.
L'ancienne monarchie attachait, avec raison, hi
— 88 —
j)luîî liaulo importance à la naissance des princes
(j.iji se trouvaient, en ligne directe» appelés au
trône. Les principes de la royaulé, que fortifiaient
encore les senliniens religieux, plaçaient dans leur
i)erceau , attendaient de leur baptême, le repos.,
l'avenir, le salut de l'Étal. Saint Louis, (|uand il
eciivait à ses amis, lettres privées, signait quelque-
lois Louis de Poissy. Il aimait cette petite ville; il y
nvait été baptisé, et souvent disait : Avant royauté^
baptême. L'un est plus grand honneur que l'autre.
Ceci était vrai , surtout du temps de saint Louis.
Et nous vo)c>ns tous ses successeurs mettre b»
même prix aux cérémonies dont l'Eglise accom-
pagne la naissance des princes. Sous Cbarles V,
le mot est remarquable, on chrélienna son fils,(|ui
tut depuis Cbarles VI, avecgraiide pompe et grande
largesse. Le roi fit faire une donnée de buit deniers
à cbacunc personne qui voulut y avoir part.
Souvent on ondoyait l'enfanl , et les solennités
pieuses, les réjouissances, avaient lieu plus tard. Le
fils aîné de François 1*"% né le dernier février 15 17,
ne fut baptisé que le 25 avril 1518, et porta le nom
d'Orléans. Le ckrétiennemcnt se fit au cbâteau
d'Amboise, « est néantmoiiis que ie baptême eut
« lieu de nuit, il y faisoil aussi clair que de joui
>) pour le grand nombre de luminoires qui s'y
» trouva. »
En plusieurs baptêmes de princes fils ou petitb
fils de François 1", le Pape et les Guises furent
compères, ce qui leur arrivait souvent. Mais les so-
— 811 —
lennilcs les plus magnifiques eureiil lieu au l)ap
lênic du lils aîné d'Henri l\ , le Dauphin, depuis
Louis XIII, qui, né en 1601, ne reçut le })remier
sacreiuenl que le 1^ septembre 1606, à Fontaine-
bleau, avec deux de ses sœurs. « La chambre de
» monseigneur le Dauphin était tapissée de la tapis-
') série de Coriolanus. Dans la même chambre y
« avait deux tables avec deux dais lorl parés au
«dessus et tapis de même, l'une pour mettre les
» honneurs des enl'ans, et l'autre pour mettre ceux
!)des compères; et il faut entendre que les hon~
tueurs des compères s'appellent le bassin, i'ai-
»guièreetla serviette; ceux de l'enfant sont K'
» cierge, le crémeau et la salière ; que si l'enfant est
»))lus grand que les compères, ses honneurs soiil
•iles premiers sur la table la mieux parée et sont
» portés par |)lus grands princes, et aussi au con
- tiaire si les compères sont plus grands. »
De vous dire ce qu'on vit figurer dans cette céré-
monie de princes, de princesses, de chevaliers des
ordres, de grands dignitaires, de seigneurs, de pa-
ges , d'archers de la garde et de Suisses, serait
chose impossible. On avait apporté, de la chapelle
du bois de Vincennes à Fontainebleau, les fonts
baptismaux qui servent aux cnfans de France, à
savoir : une cuvette faite comme un gr;»nd bassin
à l'antique; car elle a été fal)riquée en \\m huit
ctnl nonanlc-scpt. « En cette journée le temps fut
>)forl clair et serein; mais les cappes, les tocques,
=) les boutons et les c|iées (hs })rinces tl seigneurs,
— 90 —
>) couvertes de pierreries, éclaloient plus que ne
» iaisoil le jour. La garde seule de l'épée du duc
»d*Epernon valoit plus de trente mille écus ; mais
» surtout paroissoit la robe de la reine, étoffée de
» trente-deux mille perles et de trois mille diamans.
«Le lendemain fut donné le plaisir de la bague.
» Aussi le duc de Sully ayant fait faire un château
v artificiel lAein de fuzées, boettes et autres artifices
» à feu , le fit assiéger, battre et prendre par des sa-
» tyres et sauvages... » L'attaque d'un fort défendu
par des canons et pris par des satyres , paraîtrait
aujourd'hui fort étrange.
Louis XIV fut ondoyé , à sa naissance, par M. Sé-
guier, son premier aumônier, long-lemps avant les
cérémonies sacramentelles. Nous ne raconterons
pas tout ce qu'il y eut de vin répandu , de saucis-
sons et de jambons distribués, de harangues faites,
de poudre brûlée , de Te Deum chantés en France,
dans les quinze jours qui suivirent le 5 septembre
1038. Les présens suivirent de près les vers latins ,
les bombances, les feux d'artifices, et parmi les
présens on distingua fort les langes bénis, envoyés
par le pape Lrbain Vllï. Le détail des objets com-
pris dans ce cadeau sacré occupe trois pages d'un
procès-verbal in-folio. Le baptême n'eut lieu qu'au
mois d'avril 16/i3. Le dauphin parut beau comme un
unge. Je vous laisse à penser l'ordre pompeux de la
cérémonie et tout le soin qu'on prit d'y régler tou
tes choses, alin de prévenir, autant que faire se
pouvait, les débats pour la préséance.
— 91 —
Que l'éliquelte cl sa dignité puérile entourassent
des formes les plus minutieuses le baptême de
Louis XIV , on le conçoit. Où le cérémonial eut-il
plus naturellement de grandeur et d'éclat qu'à Ver-
sailles et sous son règne ? Mais qu'un soldat , un
conquérant, un grand homme élevé par son génie ,
par sa fortune au trône des rois, ait pu croire qu'au
milieu d'une cour improvisée , sa volonté rendrait
à l'étiquette une majesté que soutenaient à peine,
avant lui , huit siècles de royauté ; c'est ce qu'on
aura toujours peine à comprendre. Cependant elle
prodigue , à la naissance du roi de Rome , ses for-
malités les plus vaines.
Le roi de Rome, né le 20 mars, est porté dans
ses appartemens par la gouvernante des enfans de
France, suivi du colonel-général de la garde de ser-
vice. Le soir même on l'ondoie, et, pour aller à la
chapelle , un maréchal de France porte la queue de
son manteau. Tous les corps de l'État, s'inclinant
devant son berceau , haranguent gravement le nou-
veau-né , et madame la gouvernante leur répond
aussi sérieusement en son nom. On place dans ses
langes le grand cordon de la Couronne-de-Fer, le
grand cordon de la Légion-d'Honneur. Le sénat
donne une pension de dix mille francs au premier
page qui lui apprend la naissance ; le second page
reçoit une pension pareille du corps municipal pour
la même mission. Les pages ont fort grandi depuis
et sont toujours de fort bonne santé ; mais les deux
pensions s'arrêtèrent tout court en 181^.
^ \)± —
Le jour du baplôine à Molie-Danie , nous voyons
re[)arallre les honneurs de l'cnfaut , les honneurs des
parrains el marraines, avec l'imitation la plus fidèle
de tout ce qui s'était fait autrefois. Le procès-verbal
ofliciel n'oublie pas une voiture du cortège, pas un
chambellan , pas un page , pas un des huissiers du
palais.
Le corps municipal, de son côté, pourvut à de
magnifiques réjouissances. Toute la cour se rendit
à l'Hôtel-de-Ville. Plus de deux mille personnes
reçurent des invitations; mais la ville donnerait-elle
un dîner, donnerait-elle un souper, et dans quel
ordre, au repas du jour ou de la nuit, seraient
rangés les sièges? Sur ces graves questions il existe
une lettre curieuse d'un maître des cérémonies :
« Monsieur le préfet,
» Il n'y aura pas de soupei, parce que l'empe-
w reur ne soupe pas. Ln dîner : deux fauteuils, l'un
') pour l'empereur, l'autre pour l'impératrice ; un
» tabouret pour madame mère ; pour les têtes cou-
» ronnées, des chaises, comme pour les princes et
') princesses de la famille.
))Le baron de Saint-***. »
On dîna donc à la ville. Dans la salle ou plutôt
dans le jardin élevé sur la cour intérieure , le Tibre
tt la Seine confondaient leurs eaux. Rome el Paris
faisaient une alliance clernelle. Le banquet impérial
fut som])Uicux; mais nul n'y fut invité, comme on
— 95 --
pense bien, et les préfets moins que (raulres. Nous
dirions même ce que faisaient les premiers magis-
trats, debout, derrière l'empereur, quand tout le
monde avait pris place. L'étiquette le voulait ainsi.
Voilà des soins bien dignes du vainqueur d'Auster-
lilz et de Marengo !
Ce retour à des usages surannés qui n'avaient
plus la consécration de l'IiabiUide , blessaient les
mœurs et les idées du temps. Le nom de l'empe-
reur, son génie, celte foule de grands capitaines
qui l'entouraient, tant de victoires qui semblaient
se tenir debout à ses côtés , le dispensaient du soin
de cbercher un éclat factice dans un cérémonial
étroit, gênant pour lui , ridicule aux yeux des uns,
humiliant pour d'autres. Mais qui donc eût osé s'en
plaindre , en rire ou s'y soustraire? Quelques bro-
cards malins, encore dits à huis-clos, vengèrent
seuls la raison de cette inconcevable alliance entre
les puérilités de Versailles, les grandeurs de l'em-
pire et le bon sens de la nation. Les plus fiers tri-
buns de 92, de 93, s'étaient courbés bien vite de-
vant un pouvoir dont ils partageaient les honneurs,
mais dont ils redoutaient surtout la main pesante
et l'énergique volonté.
9.i —
« Monsieur,
» Vous avez rappelé , à l'occasion du baptême
de IM. le comte de Paris, les cérémonies de cette
nature les plus importantes qui aient eu lieu pen-
dant le cours de notre histoire. Le souvenir de ces
cérémonies ne s'est pas seulement conservé dans
les livres, nous en possédons encordes principaux
monumens; il existe dans l'église de Poissy une
partie des fonts en pierre qui servirent au baptême
de saint Louis ; et cette cuve subsisterait toute en-
tière, sans l'usage qui s'est conservé parmi les ha-
bitans d'en employer les raclures au traitement
de diverses maladies ; c'est à peine si la surveil-
lance de la fabrique a pu empêcher cette masse de
pierre de disparaître toute entière sous cette pieuse
mutilation.
» Le vase qui a servi au baptême de Louis XII ,
et qu'on gardait autrefois dans la chapelle royale
de Vincennes, a été placé depuis 1850 dans le Mu-
sée royal , au centre de la Satie des bijoux ; ce mo-
nument, qui est de cuivre damasquiné en argent,
porte une inscription arabe contenant le nom de
l'artiste, Mohammed, /Us de Zin-Eddin, Contraire-
ment aux prescriptions de la loi musulmane, on
voit sur le vase un grand nombre de figures : mais
l'exemple n'en est pas unique. Mon docte confrère,
— 05 —
M. Reynaud, a fait connaître, dans ses monumens
ara))es du musée Blacas, un vase de table, exécutt'^
à Mossouf, en Mésopotamie, l'an 1232 de notre
ère, sur lequel on voit des chasses, des combats et
d'autres scènes de la vie des riches musulmans.
J'ai acheté à Florence, en 18IJ8, pour le C4abinct
des Médailles, une coupe du même genre, et qui
porte le nom de Malek-el-Aschrai, sultan d'Egypte,
dans les dernières années du treizième siècle.
Le nom traditionnel de Baptistère de Saint-Louis,
que porte le vase de Vincennes, semblerait autori-
ser l'opinion suivant laquelle saint Louis l'aurait
rapporté lui-même de l'Orient. Millin, qui l'a pu-
blié dans le tome II de ses Antiquités Nationales ,
rapporte l'autre opinion , qui fixe à l'année 897
l'exécution de cet ouvrage chez les Sarrasins; mais
il n'indique pas la source à laquelle il a puisé cette
tradition, certainement erronée. J'en dis autant
d'une troisième opinion, qui ferait remonter la fa-
brication de ce vase jusqu'au baptême de Philippe-
Auguste , en Ji66. Tout ce qu'on peut dire de
certain, c'est que le monument est du treizième
siècle, et de fabrique orientale.
» Enfin je puis citer les anciens fonts baptismaux
de la paroisse royale de Saint-Paul, qu'un heureux
hasard m'a fait découvrir, il y a deux ans, dans une
église de village aux environs de Paris. L'église de
Saint-Poul ayant été rebâtie au commencement du
quinzième siècle, les fonts, déplacés et probable-
ment abandonnés à cette occasion , ftu'enl recueil-
— i)G —
lis par un individu du nom de Perdria', qui les (il
transporter à Médan, dont il était soigneur. C'esl
ce que témoigne une gracieuse inscription , en
belles lettres gothiques liées, qu'on voyait naguère
au dessus de celte cuve antique, d'une forme d'ail-
leurs très simple et presque dépourvue d'orne-
mens. On ne lira pas, j'en suis certain, sans quel-
que plaisir, cette inscription, qui n'est pas une des
moins élégantes de l'anthologie lapidaire de la
France :
A ces fons lurent une fois (jadis)
Baptisez plusers ducs et rois.
Princes, contes, barons, prélatz ,
Et autres gens de tous étalz ;
Et, afin que ce on cognoisse ,
Ils servoient en la paroisse
lloyal de Saint-Pol de Paris,
Où les rois se tenoient jadis.
Entre autre y fut notablement
Baptisé honnorrablement
Ce sage roiCharles-le--Q»int ( le cinquième j
Et son filz qui après lui vint ,
Charles le large bien aimé ,
VI'"*' de ce nom clamé (appelé).
Or, furent les dessusditz tons
Fait apporter, je vous respons.
En ce lieu ici de Médan ,
Par le seigneur du lieu, en Tan
Qu'on (\is'à\{ jubile r en glose;
Son âme en paradis repose !
Henry Perdrier fut son nom :
Dieu lui sache gré de ce don !
— 97 —
Icelni seigneur commença,
Depuis ung pou de temps en ça,
A rédiffier celle église ,
Qui en povre estai esioit mise,
Tellement que , comme j'entendz ,
ïl y avoit près de cent ans
Qu'on n'y avoit messe chante ,
Tant estoitle lieu mal hanté! 'dé<;eri)
Or a il si bien procuré,
Qu'il y a ce présent curé
El grant foison paroissiens :
Dieu lui multiplie ses biens,
Et nous doint faire ici prières
Pour Perdriers et Perdrières :
Qu'en paradis, où n"a soucy.
Puissent aler , et nous aussi!
.) Sur le bruit de celte découverte qui s'était ré-
pandu aux environs, M. l'évêque de Versailles,
voulant faire restaurer l'inscription, la fit enlever
de l'église de Médan. Si, comme je l'espère, on l'a
aujourd'hui remise à sa place, j'invite les curieux
à profiter de ce beau printemps que nous avons
pour entieprendre le pèlerinage de Médan. Après
avoir payé en passant leur tribut d'admiration à la
jolie église de Poissy, malheureusement défigurée
par les restaurations modernes, ils poursuivront
leur marche à travers les ombrages de Mignaux et
de Vilaines, et trouveront l'église de Médan, rebâtie
dans la première moitié du dix-septième siècle et
remarquable par la régularité de son architecture :
ils la trouveront, dis-je, au milieu des cerisiers el
des pommiers en fleurs , abrilée pai une haiile et
7
— 98 —
verdoyante colline, au pied d'un cUàleau de la
même époque , et séparée seulement de la Seine
par une belle prairie.
') Nous n'avons pas de détails sur le baptême du
sage roi C/iaries-le-Qidnt, du roi ami de Du Gues-
clin, ce réparateur des désastres de la France;
mais la suite des Chroniques de Saint-Denis, écrites
sous les yeux de ce prince , par son cliancelier
Pierre d'Orgemont, raconte, à la date du 6 décem-
bre lf'^68, la cérémonie du baptême du jeune dau-
phin, qui fut depuis Charles VI.
» Dès le jour de devant furent faites lices de mair-
rien (barrières en bois) en la rue, devant ladite
église et aussi dedans environ les fons, pour mieux
garder qu'il n'y eut trop de presse de gens... et
ainsi issèrent de l'hôtel du roi de Saint-Pol, par la
porte qui est au plus près de la dite église... devant
ledit enfant et deux cents varlets qui portaient deux
cents torches... «On voyait ensuite l'élite de la no-
blesse française et du clergé, au milieu de laquelle
paraissait « la royne Jehanne d'Iivreux , ly^'i portait
ledit enfant sur ses liras. » [Grandes Chroniques, p.
1572 de l'éd. in-f" donnée par M. P. Paris. )
« Agrée/., elc.
» i\\\. Ll•;^on]\IANT. »
— V)9 —
Nous ignorons encore par quelles fêtes sera con-
sacré le nouveau baptême. On dit que le comte de
Paris doit visiter l'asile Cochin ; que dix enfans de
chacun des asiles y seront réunis à ceux de l'éta-
blissement, et qu'une fête s'y trouvera préparée
pour eux; on dit même que toute la petite popula-
tion des asiles recevra des boîtes de dragées. Celte
visite d'un prince enfant, faite aux plus pauvres en-
fans de la ville , laisserait dans ces jeunes cœurs des
souvenirs bienveillans et durables : jamais l'esprit,
la grâce et la bonté n'auraient eu d'inspirations
plus heureuses! On dit encore , qu'outre les diver-
tissemens du 1" mai, qui seront prolongés le 2,
l'artillerie doit tirer un feu d'artillerie d'un effet
nouveau sur la plate-forme de l'arc de triomphe.
Nous ne saurions répondre que ces bruits soient
exacts ; mais, nous en sommes certains d'avance ,
rien , dans les solennités ou les réjouissances du
baptême , ne sentira la gêne de l'étiquette ; rien
n'aura lieu que ce qu'exigent le caractère touchant
de la cérémonie religieuse , la dignité de la ville et
la grandeur réelle de la royale famille à laquelle le
jeune prince appartient. Il est beau de porter le
nom de comte de Paris, lorsque, de race en race,
on descend de celui qui le premier repoussa l'inva-
sion loin des murs de l'antique ci lé !
— 100 —
Son Altesse Royale , Madame la duchesse d'Orléans, avec
son fils , le comte de Paris , visite la salle d'asile modèle
de la Capitale.
Aujourd'hui, à deux heures, son altesse royale
madame k duchesse d'Orléans, accompagnée de
Monseigneur ie comte de Paris, a visité la salle d'a-
sile de la rue Saint-Hippolyte, n° 15.
Reçue à son arrivée par M. le préfet de la Seine,
M. Ciochin, membre du conseil municipal, et les
dames directrices et inspectrices, l'auguste prin-
cesse a répondu avec la grâce la plus touchante
aux différens discours qui lui ont été adressés.
Son Altesse Royale a ensuite visité les salles d'é-
tude, dans lesquelles se trouvaient réunis un grand
nombre d'enfans , s'arrêtanl souvent pour leur
adresser soit des paroles bienveillantes, soit des ca-
resses. Il serait difficile de peindre la joie et l'émo-
tion de tous les assistans : cette visite était une vé-
ritable fête de famille.
Voici comment un journal, le Moniteur Parisien, raconte
cette royale et intéressante visite.
« Hier vendredi , une fête pleine d'à-propos, a
réuni, sous un auguste patronage , les enfans pau-
vres de la capitale.
«Dès midi, un grand nombre de voitures se di-
rigeaient de toulcs paris vers le quartier Saint-Mar-
— toi —
cel, et (ians ces voitures on s'étonnait do voir une
foule de petits enfans frais et joyeux sous leurs vê-
temens modestes. C'étaient les représentans de
toutes les salles d'as^iles de Paris, dont chacune en-
voyait huit ou dix de ses jeunes élèves à la grande
salle modèle de la rue Saint-Hippolyte.
» A deux heures, la réunion était complète ; près
de sept cents enfans des deux sexes se trouvaient
dans le vaste préau. Tout à coup, des cris de joie se
firent entendre. Madame la duchesse d'Orléans et
son fils le comte de Paris venaient d'entrer au mi-
lieu de cette intéressante assemblée.
»M. le comte de Rambuteau , préfet de la Seine,
M, Cochin, fondateur de l'asile-modèle , ont reçu
Son Altesse Royale , ([ui était accompagnée' do ma-
dame la grande-duchesse de Mecklembourg , sa
mère, de M. le duc de Coigny, chevalier d'honneur,
de madame la maréchale de Lobau , l'une des da-
mes patronesses des salles d'asile, et de M. Asse-
line, secrétaire des commanderoens.
»La plus jeune fille, âgée de deux ans et demi,
présenta un bouquet à la princesse, et le plus petit
garçon remit entre ses mains des couplets qui fu-
rent chantés par toutes ces voix (jue leur fraîcheur
faisait paraître harmonieuses.
«Après quelques exercices, qui furent exécutés
avec une grande précision, toutes les députations,
distinguées chacune par un drapeau que portait un
jeune enfant, déiilèrent devant le comte de Paris;
puis cette foule impatient*' fui rendue à la liberté
— 102 —
et chaque entant pril sa part d'un goûter qui avait
été préparé par ordre de la princesse.
«Avant de quitter l'établissement. Son Altesse
Rovale adressa des félicitations aux dames fonda-
trices , sur les heureux résultats de leur pieuse as-
sociation , et laissa à madame Millet une somme
de 2,000 francs , pour faire habiller les enfans les
plus pauvres.
«Toute la population du quartier s'était em-
pressée aux abords de la maison d'asile, et des ac-
clamations unanimes saluèrent le départ de la
princesse et du jeune comte de Paris. »
C'était un grave et touchant spectacle de voir la
sollicitude toute maternelle de l'auguste princesse
envers toutes ces écoles où l'enfant du pauvre va
chercher l'instruction qui doit moraliser toute son
existence, et qui semblent une des créations les
plus naturelles de l'esprit de 1830.
Après une allocution toute chrétienne et toute
paternelle de M. Rendu , président de la commis-
sion supérieure des salles d'asile , madame Che-
vreau-Lemercier , déléguée générale des salles
d'asile du royaume , a lu un discours dont nous
extrayons les passages suivans :
« Votre présence au milieu des enfans du pauvre,
et au milieu de leurs protectrices , est le témoi-
gnage le plus vif de l'intérêt que vous portez aux
salles d'asile. Permettez-nous de remercier Votre
Altesse Royale du puissant patronage que vous dai-
gnez nous faire espérer en cçnsacrant le souvenir
— lOô —
<lu baplènie de monseigneur le comte de Paris par
cette tèle de famille
» Faire prospérer les asiles , c'est préparer pour
l'avenir la pratique de toutes les qualités et de tou-
tes les vertus modestes qu'on enseigne à aimer
dans ces élablissemens
))i\lais , Madame, nos petits enfans ne sont pas
seulement préparés par nous à mettre en œuvre
les vertus essentielles de la vie ; ils les font ai-
mer déjà au foyer domestique : soumis eux-mê-
mes à des règles particulières, ils portent des idées
d'ordre dans la famille ; ils en deviennent comme
les petits missionnaires par leurs exemples et sou-
vent par leurs édifiantes causeries. C'est l'enfant
qui, au retour de l'asile , exhale dans la maison ce
parfum qui rend la vertu si aimable et si facile. De
quelle bouche plus pure, d'ailleurs, la vertu pour-
rait-elle sortir, que de la bouche d'un enfant? Il
entre dans la vie, il reçoit de douces impressions,
qu'il conserve comme un feu sacré ; il les répand
autour de lui ; rien de sa part ne saurait blesser ;
son père et sa mère admirent tout ce qu'il dit et en
font leur ])rofil, sans qu'ils songent à se deman-
der pourquoi ils deviennent meilleurs !
«Merci donc, merci mille lois à Votre Altesse
Royale : sa visite sera une date précieuse pour les
enfans que sous avez bien voulu encourager pur
— 104 —
vus paroles ; el elle restera pour nous la plus douce
récompense de nos efforts et de nos travaux. »
Toutes les salles d'asile de Paris étaient repré-
sentées chacune par une députation d'enfans. Ma-
dame Millet, inspectrice spéciale du département
de la Seine, s'est empressée de donner à madame
la duchesse d'Orléans tous les renseignemens dési-
rables, soit sur les maîtresses , soit sur les divers
établissemens eux-mêmes. La séance s'est termi-
née par une pièce de vers composée en l'honneur
de monseigneur le comte de Paris , par madame
Jules Mallet. Celte pièce, d'une poésie douce et
gracieuse, a été lue par M. Cochin, fondateur de
l'asile modèle.
Sur la demande de madame la duchesse d'Or-
léans, toutes les dames de la commission supé-
rieure, et les dames déléguées pour l'inspection
des asiles de Paris, avaient été convoquées par M.
le préfet de la Seine, qui a fait lui-même les hon-
neurs de cette touchante cérémonie.
Elle a été couronnée par une distribution de bon-
bons faite à tous les enfans [)ar les soins de ma-
dame la duchesse d'Orléans.
Dt SON ALTESSE ROYALE LE COMTE DE PARIS
DISPOSITIONS PRÉLIMINAIRES.
Les cérémonies du baptême de son altesse royale
le comte de Paris se sont faites le 2 mai, le lende-
main de la fête du roi, à Notre-Dame, avec une
magnificence extraordinaire.
Le drapeau tricolore flottait dès la veille sur les
tours de Notre-Dame.
(1) Pendant la cérémonie du baplénie, à Notre-Dame, la
curiosité était excitée par le vase remarquable qui avait été
apporté pour servir de fonts balismaux dans cette grande so-
lennité; plusieurs versions extraordinaires circulaient sur l'o-
) igine de cet antique et précieux travail. Nous avons sous les
yeux un document qui fixe la date et Torigine de ces fonts
baptismaux. Nous l'avons trouvé dans VHistoire du palais de
Fontainebleau , par M. Vatoul, lorsqu'il raconte la cérémonie
du 14 septembre 1606, où Henri IV lit baptiser ses trois en-
fans dans celle résidence royale. — «Les fonts qui servent
pour le baptême de nos rois, dit l'auteur d'après une vieille
chronique , avaient été apportes de la sainte chapelle du châ-
leau du bois de Vincennes, où ils étaient curieusement gar-
dés; c'était un grand bassin de cuivre , couvert de plaques
d'argent , avec de petites tigures artistement travaillées ; le
tout fort antique , ayant clé fait l'an huit cent nonante-sepl .
a la fin du règne d'Eudes , fils de Robert-le-Forl , comte de
Paris!
— 100 —
L'église avail élé décorée avec beaucoup de
pompe.
Au devant de la porte principale s'élevait, dans
le style d'architecture de la métropole, une haute
marquise en forme de tente, décorée avec des tro-
phées formés de drapeaux; c'est là que l'archevê-
que de Paris, accompagné des cardinaux, des ar-
chevêques et évêques, des chanoines du chapitre
royal do Saint-Denis, entouré de ses archidiacres,
de son chapitre et de tous les curés de Paris, est
venu recevoir leurs majestés le Roi et la Reine, et
tout le corps de princes et de princesses conduisant
le comte de Paris.
Dans l'intérieur tous les piliers de la nef étaient
enveloppés dans toute leur longueur d'une riche
et majestueuse draperie en velours cramoisi, à bor-
dure d'or. Au dessus, à la hauteur des tribunes,
étaient rangés des trophées de drapeaux rappelant
la garde nationale et l'armée ; outre les trophées de
drapeaux, au dessus de chaque pilier apparaissait
un écusson de laurier doré, aux chiffres et aux ar-
moiries du comte de Paris ; puis au pied de chaque
trophée de drapeaux, était un autre écusson repré-
sentant deux anges supportant la couronne de
comte. Au dessous des orgues, des drapeaux réunis
formaient une rosace gigantesque. Les tribunes
étaient aussi décorées d'une élégante tenture rouge
cramoisi. Au devant du chœur, au milieu do la
grande croix, s'élevait un grand autel à la romaine
pour la cérémonie. A droite et à gauche de cet au-
— 107 —
tel, en avant des portes latérales, comprenant l'es-
pace réservé entre le chœur et la grande nef, des
tribunes avaient été construites, et c'est là que sont
venus prendre place les ministres, les maréchaux,
les membres de la chambre des pairs, la cour de
cassation, la cour des comptes, la cour royale, le
conseil d'État, le conseil général, le conseil muni-
cipal.
Ln dais de velours cramoisi et or, avec des pana-
ches blancs aux quatre coins, se terminant en dôme,
surmonté d'une couronne royale, était appendu à
l'avant de la grande croix où avait été dressé l'au-
tel à la romaine pour la cérémonie.
Au dessous du dais, des fauteuils et des prie-
dieu avaient été disposés pour la famille royale.
Le chœur avait été aussi pompeusement décoré,
tout autour, dans le style des décorations de la nef.
Devant les pilastres de chaque tribune et sur les en-
tre-colonnemens des archivoltes qui dominent le
maître-autel, descendait également une magnifique
draperie de velours doré , relevée en rideaux par
d'énormes torsades en or. Sur toutes ces décora-
tions venait se refléter la lumière de cinquante
lustres et d'autant de candélabres d'or avec giran-
doles garnies de bougies, s'élendant sur deux rangs,
depuis la porte principale d'entrée jusqu'au mai-
Ire-autel.
— 108 —
COKTÉGt: ET AIUUVÉK DU ROI A LA MÉTROPOLE.
A neuf heures du matin , les tribunes étaient
remplies; à dix heures, l'église était pleine: les
cardinaux, les archevêques, les évoques, les mi-
nistres, les maréchaux, les pairs, les députés , le
(!orps diplomatique, les divers corps étaient arri-
vés sucessivement.
A onze heures, une salve d'artillerie a annoncé
le départ du roi et de la famille royale du châ-
teau des Tuileries. A onze heures et quelques
minutes, les tambours qui battaient aux champs ,
la musique, les fanfares, disaient que le roi
était à la porte de Notre-Dame. MOiNSEIGNEUR
L'ARCHEVÊQUE DE PARIS (J) . accompagné par
leurs éminences le prince de Croi, cardinal archevê-
que de Rouen, monseigneur de Latour-d'Auvergne,
cardinal évêque d'Arras, monseigneur de Ronald,
cardinal archevêque de Lyon , assisté des évoques
suffragans, nosseigneurs les évêques de Versailles ,
d'Orléans, de Meaux et de Reauvais (2) , que pré-
(1) Le roi fivail envoyé la veille du baptême à monseigneur
rarciievêque de Paris, une croix et un anneau pastoral en
hrilians.
M. le duc d'Orléans avait ollert, le malin même de la céré-
monie, à ce prélat, une rnilre du plus grand prix.
(2) Messeigncurslcs évè(iues de Blois et de Cand)rai avaient
pri(> (ju'on les excusât auprès du roi, de n'ètie pas venus se
joindre dans les cérémonies du baplèmc de Son Altesse Royale
le comte de Paris, aux prélats sullragans de la mciropole. Ils
— 109 —
cédaient le patriarche d'Antioche, évè [ue do Jéru-
salem , rarchevèqiie de Calcédoine, les anciens
évêques de Dijon el de Beauvais , l'évêquo de Ma-
roc, aumônier de sa majesté la Reine, l'évêquo
nommé d'Evreux , les chanoines du chapitre roval
de Saint-Denis, et entouré de ses archidiacres, de
son chapitre et de tous les curés de Paris, était allé
recevoir au portail Sa Majesté, et lui adressait lo
discours suivant :
« Sire,
«Jésus-Christ , par le premier de ses sacremens ,
î) imprime le même caractère au descendant des
»rois et au fds du citoyen le plus obscur.
» Après leur avoir révélé par sa doctrine les droits
)) et les devoirs qui leur sont communs, il prépare
«par sa grâce celui qui est né dans la condition la
» plus humble à la chérir comme plus heureuse ; il
«prépare le prince à remplir avec bonté et avec jus-
^)tice ses hautes mais difficiles destinées.
«Cette double disposition est le lien le plus du-
disaient que leur grand âge et leurs infirmités avoient pu
seuls les empêcher de donner à Sa Majesté, en cette occasion
touchante et solennelle, cette expression de leur profond res-
pect et de leur entier dévoùment.
Monseigneur Tevéque de Chartres, dans une loure toute
pleine de nobles et touchantes expressions de dévoùment
pour le roi . s'était déjà excusé lui-même de ne pouvoir se
réunir à son métropolitain dans cette grave circonstance, à
eause de grandes fatigues qui le retenaient souflranl après
plusieurs confirmations qu'il venait de donner.
— 11(1 —
» 1 ahlo outre les peuples et les rois; elle est le gage
» le plus sûr de leur mutuelle sécurité. Voilà pour-
» quoi. Sire, les saints engagemens que va prendre,
y par la bouche de Votre Majesté , un nouveau re-
» jeton de la race de saint Louis , appellent au
«pied des autels de cette antique basilique le roi ,
))la famille royale , les grands corps de l'État , d'il-
» lustres pontifes et le clergé de la capitale.
» L'archevêque de Paris est heureux d'implorer,
))sur votre auguste petit-fils, les bénédictions du
» ciel et d'unir ses supplications et ses vœux à ceux
» de cette imposante assemblée. »
Le roi a répondu :
« En venant au pied des autels contracter pour
))mon petit-fils les saints engagemens qui accom-
«pagnent le baptême, je ne puis former de meil-
))leur vœu pour son avenir que celui de lui voir
» prendre pour guides les sentimensque vous venez
» de m'exprimer, et que je partage du fond de mon
wcœur. Il m'est bien doux de voir que vous enten-
» diez d'une manière aussi conforme à la mienne
))les devoirs que la religion impose à tous les chré-
» liens dans les diverses positions où la Providence
» les a placés. Je m'unis à vos prières pour appeler
»sur mon petit-fils, sur ma famille et sur moi les
» bénédictions du Ciel, ele les invoque pour le bon-
» heur de la France, et pour obtenir de Dieu la con-
«tinuation de cette protection tutélaire dont nous
» avons déjà tant reçu de marques. »
Après avoir répondu à inonseigneurlarchevêque,
SA MAJESTÉ ayant refusé le dais qui avait élé
préparé , le clergé a repris processionnellement le
chemin de l'autel , et le cortège du roi a suivi , Ira-
versant la nef au bruit des tambours et d'une mar-
che brillante exécutée par l'orgue.
Le roi, entouré de la famille royale , s'est avancé
en saluant les différens corps de l'Llat, vers la
place réservée, en face de l'autel à la roinaine.
Le roi avait à sa droite le roi des Belges , le duc
d'Orléans, le prince de Joinville , le duc de Mont-
pensier et le duc Alexandre de Wurtemberg.
Sa Majesté avait à sa gauche la reine , la reine
des Belges, la duchesse d'Orléans, la duchesse de
Nemours, la princesse Clémentine, madame Adé-
laïde et madame la grande duchesse de Mecklem-
bourg.
Les corps constitués étaient également placés
dans la croix de l'église.
A la droite du roi étaient les ministres , la cham-
bre des pairs , le conseil d'État et le corps diplo-
matique.
A la gauche de Sa Majesté, MM. les maréchaux
de France et les amiraux, la chambre des députés ,
M. le préfet de la Seine à la tête du corps munici-
pal, et M. le préfet de police.
Au côté droit de la nef, étaient : la cour de cas-
sation, la cour royale, le tribunal de première in-
stance, le tribunal et la chambre de commerce,
les juges de paix , les avocats [)rès les cours , le con-
— Ihi —
sisloire, M. le maréchal GcVard , coiniiiaiulanl de
la garde nationale de la Seine , avec MM. les colo-
nels et une dépulalion des officiers de la garde na-
tionale de Paris et de la banlieue.
Au côté gauche de la nef étaient : la cour des
comptes, le conseil royal de l'instruction publique,
l'Institut de France, le corps royal des ponts ot
chaussées et des mines , MM. les généraux Pajol et
Dariulle, avec une députation des ofhciers de la
première division militaire et de la garnison de
Paris.
L'autel était environné, sur la gauche, du côté de
i'hvangile, par les trois cardinaux: monseigneur
le prince de Groî, archevêque de Uouen , moiisoi-
gneur de Latour-d'Auvergne , évoque d'Arras . ot
monseigneur de Bonald » archevêque de Lyon ,
ainsi que par tous les évêques suffragans du siège
de Paris et M. lévêque nommé d'Lvreux.
Derrière les évêques se trouvaient les chanoines
du chapitre de Saint-Denis;
A la droite de l'autel, du côté de l'épîlre, étaient
tous les curés de Paris.
Dans les deux jubés^ les chanoines honoraires de
Paris, et entourant l'autel par en bas, les chanoi-
nes titulaires de Paris revêtus de chapes d'or.
Outre les évêques suffragans, un grand nombre
d'évêques assistaient à la cérémonie. On remar-
quait parmi eux monseigneur le patriarche d'An-
tioche, avec un costume levantin d'une grande
splendeur, l'archevêque de Calcédoine, l'ancien
— iir> —
èvêqiie de Dijon et l'ancien évêque de Beauvais,
et, près de la faniille royale, monseigneur l'évê-
qiie de Maroc, aumônier de la reine.
Dans des tribunes réservées, décorées avec ma-
gnificence, étaient les infans d'Espagne , les dames
du corps diplomatique , les femmes des ministres
et des hauts fonctionnaires.
Dans les tribunes hautes , était une grande af-
fluence de personnes invitées.
Au fond de l'abscisse se trouvait l'orchestre com-
posé de deux cent cinquante musiciens, et dirigé
par M. Habeneck.
La famille royale ayant pris place, monseigneur
l'archevêque de Paris a entonné le Feni Creator,
suivi du psaume Qaemadmodum exécuté alterna-
tivement en faux-bourdon et jiar l'orgue.
Alors a eu lieu la cérémonie du baptême. Les
fonts baptismaux étaient placés au milieu de la
croix , entre l'autel et la famille royale.
LE ROI A ÉTÉ LE PARRAIN.
LA REINE A ÉTÉ LA MARRAINE.
Immédiatement après le baptême et |)endant la
célébration de la messe , dite par monseigneur l'ar-
chevêque , assisté de ses archidiacres et de deux
chanoines, l'orchestre a exécuté un Credo, un
Sanctus , un Bencdictus et un Domine salvum fac rc-
gem, composés, pour cette solennité, par M. Elwart,
ancien pensionnaire de Rom*^. Un style large et ra-
pide, des mélodies suaves et toujours soutenues par
une harmonie sévère , caractérisent ces dilTérens
8
— 114 —
morceaux. On a remarqué V Introït el le Credo, dont
lerhythme varié et le dessin grandiose ont frappé
l'attention des connaisseurs. Le Domine salvum est
conçu d'une manière entièrement neuve.
Après la messe, monseigneur l'archevêque a en-
tonné le Te Deutn, et l'orchestre a exécuté avec sa
supériorité ordinaire cette magnifique composition
du célèbre Lesueur.
Après le Te Deujti l'acte de baptême du comte
de Paris a été signé par
Le roi , la reine ;
Le roi des Belges , la reine des Belges ;
Le prince royal, duc d'Orléans;
La princesse royale , duchesse d'Orléans ;
Le duc de Wurtemberg ;
Le prince de Joinville ;
Le duc de Montpensier;
La duchesse de Nemours ;
La princesse Clémentine ;
Madame Adélaïde , sœur du roi;
La grande duchesse de Meklembourg ;
Son éminence le prince de Croï, cardinal-ar-
chevêque de Rouen ;
Son éminence monseigneur de la Tour d'Auver-
gne , cardinal-évèque d'Arras ;
Son éminence monseigneur de Bonald , cardi-
nal-archevêque de Lyon ;
Le patriarche d'Anlioche, évêque de Jérusalem;
L'archevêque de Calcédoine;
L'évêque de Versailles;
— Il;) —
L'évêque de Meaux ;
L'évêque d'Orléans ;
L'ancien évêque de Dijon ;
L'évêque de Maroc, aumônier de S. M. la reine;
L'évêque nommé d'Evreux.
Monseigneur l'archevêque , les cardinaux , les
évêques suffragans et tout le clergé, ont ensuite re-
conduit Sa Majesté processionnellement jusqu'au
portail.
MM. les ministres, M. le chancelier de France,
M. le président de la Chambre des Députés, MM. les
vice-présidens des deux Chambres, MM. les maré-
chaux , etc. , ont également signé l'acte de bap-
tême après le départ de Sa Majesté.
Le roi et la famille royale sont rentrés au palais
des Tuileries à une heure. Une salve d'artillerie a
annoncé le retour de Leurs Majestés.
Cette cérémonie a eu un caractère grave et solen-
nel. Grâce aux heureuses dispositions qui avaient
été prises, aucun incident n'a interrompu le re^
cueillement de la brillante assemblée qui se pres-
sait dans l'immense enceinte de la vieille basilique.
Partout, sur le passage du roi , les acclamations
les plus vives ont salué Leurs Majestés et la famille
royale. Les cris de vive le comte de Parts ! se mê-
laient à ceux de vire le Boi\ rive la Reinel vive le
duc d'Orléans !
— un —
Le l*Rf:FET (le In Seine remet au COMTR DE PARIS l'épée qui
lui rsl offerle par la ville de Paris.
Après la cérémonie du baplême de Son Allesso
monseigneur le comte de Paris, le corps municipal
est venu aux Tuileries pour présenter au royal en-
fant l'épée qui lui est offerte par la ville de Paris.
Le roi l'a reçu dans la salle du Trône, ayant au-
près de lui la reine et toute la famille royale. Ma-
dame la duchesse d'Orléans tenait le jeune prince
par la main ; les ministres assistaient à cette récep-
tion.
M. le comte de Rambuteau , préfet de la Seine ,
a adressé au roi le discours suivant ;
« Sire ,
«Hier, nous apportions au Roi les hommages lie
la cité ; aujourd hui, nous venons exprimer au père
de Fannlle nos félicitations et les sentimens de joie
d'une population fidèle et dévouée.
» La cérémonie à laquelle nous assistions, il y a
peu d'inslans, a laissé dans nos cœurs une impres-
sion profonde. Quel grand spectacle dans la basili-
que ! Ce Roi, ce chef de dynastie, quia sanvé son
pays de tant de maux, et qui lui a fait tant de bien ;
cette belle famille, où toutes les vertus sont ensei-
gnées et Iransmises par l'exemple; ce prince , sur
le front duquel la valeur rayonne autour d'ime sa-
gesse précoce; cetle jeune mère, dont le regard
— 117 —
lioblf, péiit'Uiuilet gracieux, révèle la deslinee poui
laquelle la Providence a voulu la douer; ce royal
Eiilanl, inclinant sa jeune tète sous la grâce céleste ;
Sire, tout cela était saint , touchant et beau !
» Voilà l'Enfant qui sera le Roi de nos ent'ans 1
') Celte ville, dont Votre Majesté a voulu qu'il
portât le nom, désire qu'il conserve un souvenir
du bonheur causé par sa naissance et par le choix
de ce nom. Elle lui ofTre cette épée , Sire; c'est la
cité qui la lui donne pour le service du pays !
Quand l'âge sera venu |)ourlui de la ceindre, il ne
manquera pas d'exemples pour l'usage qu'il en de-
vra faire. Il peut remonter haut dans sa race, mais
il n'aura pas à chercher loin ses modèles. 11 lui sera
facile d'être juste et fort. Heureux Enfant dont la
carrière aura été aplanie par tant de sagesse, et
qui trouvera si près do lui de puissans et nobles
enseiirnemens !
» Sire , daignez permettre au comte de Paris d'ac-
cepter l'épée de la ville de Paris; et que ce souve-
nir soit à jamais un gage d'union entre le prince
et la cité. '>
(Ce discours a été suivi des cris de f^ive le Roi!)
Le Roi a répondu :
'Je suis profondément ému des sentimens que
» vous m'exprimez en termes si touchans au nom
» de la ville de Paris ; cette grande cité , ma ville na-
wtale, sait combien il m'est doux de lui témoigner
» en toute occasion l'alVection que je lui porte et
» combien je suis heureux d'obtenir ou plutôt de
— 118 —
«conserver celle de ses habilaiis. Je vois avec une
«fjrande satisfaction ma lainille s'identiliei avec la
' population parisienne ; je reçois pour mon petil-
"fîls l'épée que lui présente le corps municipal au
') nom de la ville de Paris. Fasse le ciel qu'il ne soit
» pas appelé à en taire usage; mais si jamais il doit
) la tirer du fourreau , ce ne sera qu'à bonne en-
» seigne et pour défendre l'honneur de la France et
«l'indépendance nationale. Mais j'ai lieu d'espérer,
» et c'est à quoi je travaille , que le règne de mon
.) pclit-fils ne sera pas troublé par la guerre, et qu'il
') recueillera une gloire plus douce, celle d'assurer
» le repos et la prospérité de la Fiance. »
Le Roi, prenant son petit-fils par la main , l'a
présenté au corps municipal et lui a dit : « Donne
-) la main au préfet, en signe que lu la donnes à
» toute la ville de Paris. »
(Des cris de vive le Bol ! ont éclaté avec force
|)armi les membres du corps municipal.)
Cette épée magnifique, remarquable par le tra-
vail de la ciselure et le bon goût des ornemcns, a
été admirée par Leurs Majestés et par toute la fa-
mille royale.
L'épée du comte de Paris est d'une longueur
moyenne, très simple à la première vue, malgré la
beauté des ornemens, et très portative, quoiqu'elle
soit une arme de grand luxe et de grand prix. Elle
est toute en acier ciselé, poignée, lame et fourreau.
Les ornemens sont en or et en pierres précieuses.
La poignée est surmontée d'une couronne royale,
— iiy —
soulenue par quatre génies. Sa base est aj)puyée
à deux figurines assises sur la coquille, et entre les-
quelles on voit un lion couché. Chaque côté de la
poignée est rempli par une figure en pied , l'une
représente la Force, l'autre la Sagesse.
Autour de la garde, et s'appuyant à la base de la
poignée, on voit un serpent d'or enroulé. Au mi-
lieu, les couleurs nationales figurées par un dia-
mant, un rubis et un saphir; au dessus le coq gau-
lois, fièrement perché sur l'anneau tricolore; le
reste de la garde s'arrondit en une chimère élé-
gamment adossée à la couronne.
Sur la coquille , entre la poignée et la lame, on
a représenté le comte de Paris endormi dans son
berceau, lequel est figuré par le vaisseau emblé-
matique de la ville de Paris , sous la garde de la
Ville et de la Fortune, avec celte inscription : Dieu
le conduira !
Sur le côté droit de la lame on lit : Au comte de
Paris, sa ville natale, 2/4 «ou^ 1838. Plus loin, sur un
médaillon d'or, le lion de la guerre, déchaîné, s'é-
lance dans l'espace. Une suite de figurines ciselées
représente un char attelé, des hommes qui com-
battent, des blessés qu'on transporte, des femmes
éperdues qui s'enfuient, des prières au pied des
autels de la paix.
Urbs dédit patrice prosit ; telle est l'inscription
gravée sur le côté gauche de la lame, qui se termine
en pointe flamboyante.
Le Fourreau porte, dans sa partie supérieure , \(-
— Î-2U —
cliillVe du coiiile de Paris, composé de trois leUre&,
L. P. A. (Louis-Pliilippe-Albert ) , el à son extré-
mité une tête sur un fond d'émail damasquiné. Le
crochet du fourreau est formé par un génie qui
tient un bouclier sur lequel est écrit le mot Patrie.
A droite et à gauclie, dans toute la longueur de ses
deux faces, sont ciselés des attributs guerriers et
pacifiques, des génies couronnés, des inslrumens
d'agriculture, des casques, des épées, une palette,
un compas, le chêne el l'olivier , des gerbes de blé
et les fruits de la vigne, Tous ces attributs sont sur-
montés par deux génies en pied : l'Abondance el
la Victoire.
Dans les intentions du conseil municipal, voici
quel est le sens allégorique des différentes parties
de l'épée donnée au comte de Paris : la garde si-
gnifie la prudence; la lame est vouée à la guerre;
le fourreau porte les emblèmes de la victoire et de
la paix.
La boîte qui renferme ce chef-d'œuvre de l'art
est elle-même un beau travail. Elle est en peau de
chagrin, semée de clous d'or, avec le chiffre, en or,
(lu comte de Paris, et la couronne royale sur Té-
cusson et sur la clé.
— 1-21 —
BANQUET ROYAL
Le soir du baplème, un grund dîner a élé donné
par le Roi.
Une immense table régnait dans toute la lon-
gueur de la galerie Louis-Philippe. Sa Majesté y a
pris place, ayant à sa droite la reine des Belges et
à sa gauche la duchesse d'Orléans. Le roi des Bel-
ges était à la droite de la Reine, et M. le cardinal
évêque d'Arras était à sa gauche (1); M. le chance-
lier était à côté de la reine des Belges, et M. le pré-
sident de la Chambre des Députés auprès de la du-
chesse d'Orléans ; M. le président du conseil était
à la droite dé madame Adélaïde (2).
Dans la salle des Maréchaux , une autre table en
fer à cheval était présidée par M. le duc d'Or-
léans (3), ayant à sa droite le ministre des affaires
(1) Son ëininence le cardinal archevêque de Rouen, prince
<le Croï, est parti aussitôt après les cérémonies du baptême du
comte de Paris , pour reprendre le cours de ses confirmations,
(ju'il n'a pas cru pouvoir interrompre plus long-temps, et
auxquelles il s était arraché pour venir, en toute hâte, répon-
dre à Tinvitaiion du roi, et donner à Sa Majesté, dans cette
solennelle occasion , un ténioign:ige de son entier dévoù-
ment.
(2) Les cardinaux de Latour-d'Auvergnc et de Bonald ,
monseigneur rarchevêque de Paris et monseigneur l'évêque
nommé d'Evreux étaient à la table du loi.
(5) Monseigneur le prince royal a remisa monseigneur rar-
chevêque 10,000 francs poui- être distribués aux parcns des
rnlans pauvres qui seront présentés sur les fonts baptismaux,
dimanche et lundi , dans les dirtéienles paroisses de Paris.
1^«2
olrangèros, el le comte de Uainbuleau à sa gauche ;
par M. le duc de Moiilpensier et M. le duc Alexan-
dre de Wurtemberg.
Dans le salon de la Paix, le prince de Joinville
présidait une troisième table , ayant à ses côtés
M. l'amiral Duperré et M. le maréchal Valée.
Les trois tables formaient une réunion de 850'
couverts.
Les bureaux des deux chambres, les ministres,
les maréchaux, les colonels el les lieutenans-colo-
nels de la garde nationale et de l'armée, M. le ma-
réchal Gérard, M. le lieutenant-général Jacque-
minot et leur état-major, les maires et les adjoints
de la ville de Paris, tous les membres du conseil
municipal, le préfet de la Seine el le préfet de po-
lice , l'état-major de la garde municipale , etc. ,
avaient été invités à ce banquet, fjui a duré jusqu'à
sept heures.
A huit heures, le Roi a paru au balcon de la
salle des maréchaux, entouré de la famille royale.
Sa Majesté a été saluée par une foule immense qui
se pressait sous les fenêtres du palais. Le jardin
était magnifiquement illuminé. Le plus beau temps
favorisait la fête.
A neuf heures, un beau feu d'artifice a été tiré
à la fois sur le quai d'Orsay et sur le pont de la
Concorde ; lorsque le Roi s'est montré à la fenêtre
du premier étage donnant sur le quai, afin de don-
ner le signal du feu, de vives acclamations ont ac-
cueilli sa présence.
— J23 —
La fêle a continué toute la soirée dans les
(Champs-Elysées , sur la place de la barrière du
Trône et le long des boulevarts, et s'est prolongée
jusque dans la nuit, sans qu'aucun accident, sans
(ju'aucun désordre soit venu troubler cette grande
et magnifique solennité.
CONCERT DU LOUVKE.
Soirée du 6 mai 18-41.
Le grand concert annoncé dans le programme
des têtes du baptême a été exécuté ce soir, dans ht
grande galerie du Louvre consacrée à l'exposition
des ouvrages des artistes vivans.
C'est une idée qui a pu être très justement con-
troversée que celle de placer un orchestre de qua-
tre cents musiciens à l'extrémité d'une longue
galerie , de manière que les auditeurs placés au
premier rang pouvaient courir le risque d'être
étourdis par le bruit , tandis que les derniers venus
auraient été à trois ou quatre cents niètres de dis-
lance. Mais ce qui répond à ces critiques, c'est que
le concert du Louvre a parfaitement réussi. Le soin
qu'on avait eu d'élever l'orchestre sur un amphi-
théâtre de quarante gradins , la puissance des
moyens dont il disposait, l'éclat des voix et la lorce
des chœurs, le choix habilement concerté des mor-
ceaux qui devaient être exécutés ou chantés, tout,
en un mot, a concouru à ce succès ; et si on ne peut
— 144 —
pas dire, inènie après celle épreuve, que la galerie
(in [.ouvre soit une salle de conceii irréprochable,
on n'en rendra pas moins juslice à la pensée qui a
présidé à la fêle. C/élait une pensée toute favorable
aux arts, mais où seulement les intérêts de la pein-
ture ont dû être plus consultés que ceux de la mu-
sique.
Disons donc que la fête du 6 mai a été, dans l'in-
tention même qui l'a conçue, la fête de la peinture,
et, tout en rendant hommage à la musique qui
avait là des compositeurs et des artistes d'un grand
talent pour la représenter avec honneur, tout en
lui rendant celte justice, laissons-la sur le second
plan. Elle n'était pas l'héroïne de la fête ; elle n'é-
tait qu'une invitée dans le palais de la peinture : on
l'y a reçue en étrangère de distinction, mais non
})as en reine. Ce n'était j)as ptiur elle seule que
])rillaient, sous celle voûte étincelanle, des milliers
de bougies, comme des étoiles dans un ciel d'été.
Ce n'était pas pour elle seule que le velours et la
soie ruisselaient sur les gradins, et que les lambris
éclataient d'or. Non, tout cet éclat , tout ce luxe,
toute cette pompe royale, n'étaient pas exclusive-
menl pour la musique; celle foule n'était pas venue
seulement pour entendre, mais pour voir. El vrai-
ment on ne se lassait pas de voir et d'admirer ; car
le spectacle était magnifique.
Imaginez, en ellel , un espace de cinq cents mè-
tres de long sur quinze de large, s étendant sans
interruption depuis le grand salon carré jusqu'à
— 1^5 —
la porte qui sert do communication avec les Tuile-
ries ; sous les voûtes de celte immense galerie , deux
longues rangées de lustres, au nombre de plus do
deux cents, supportant quinze cents lampes et j)lus
de quatre mille bougies ; le long des murs, d'un
côté, toule l'exposition de 18^1 ; de l'autre, l(\s
grandes et immortelles écoles, devancières et ri-
vales de la nôtre; et tous ces tableaux, jeunes
ou vieux , inondés de lumière , éclatant d'bar-
monie, et renvoyant à cette atmosplière radieuse,
par le prestige de la couleur ou l'or étince-
lant des cadres , une partie de l'éclat qu'ils en ont
reçu ; — au milieu, une multilude brillante , tous
les costumes de l'Europe, tous les uniformes de
notre armée, les broderies des diplomates et des
politiques, les plus belles parures, les atours les
plus élégans, les plus riches toilettes, les plus no-
bles et les plus beaux visages , et toute cette foule
s'écoulant sans obstacle et sans confusion entre
deux rangées de banquettes où plus de liuit cents
dames sont assises ; — au fond, l'immense orches-
tre adossé au grand salon, et du haut de cet amphi-
théâtre où sont établis trois cents musiciens instru-
mentistes et cent chanteurs, une harmonie macfni-
fique qui semble couler à pleins bords dans cette
vaste galerie , qui se répand à grande distance et
qui domine au loin la foule et le bruit : — tel est
Taspect général de la fête. Mais, je le répète, ce ne
sont pas les nmsiciens qui en sont les héros; ce ne
sont pas les grands seigneurs de la diplomatie, de
— 12(> —
la j)()lilique ou ilt> la finance ; co ne soûl pas mémo
les femmes ; elles auront leur lour et sauront pr':»n-
dre leur revanche : les héros de la fêle, ce sont les
peintres. C'est pour les honorer que le roi a réuni
ce grand monde , suspendu ces lustres étincelans,
semé de lumière cet immense espace, et déchaîné
ce monslre aux cent voix qui semble, du haut de
ce trône d'harmonie , proclamer la gloire de la
peinture.
J'aime, quant à moi, les expositions de nuit,
mais à une condition, c'est qu'il y fera plus clair
que le jour. Je ne suis donc pas de l'avis d'un plai-
sant qui , consulté sur l'effet de celte illumination ,
dit qu'il aimait beaucoup à voir ainsi les tableaux
modernes.
— Pourquoi cela? lui demanda quelqu'un.
— Parce que je les vois moins.
— Je trouve, au contraire, que les tableaux ga-
gnent à être vus de cette façon.
C'est un procédé anglais que le roi a transporté
en France , et qui ne peut en effet, tant il est dis-
pendieux, être employé avec succès que par un roi
ou un lord anglais. Les Anglais se servent de ré-
flecteurs immenses qui , placés devant chaque ta-
bleau, et laissant le milieu de la salle ou de la ga-
lerie d'exposition dans l'obscurité, produisent un
effet double de celui qu'on peut atteindre en distri-
buant la lumière avec plus d'égalité dans un grand
espace. Mais imagine-t-on une fêle éclairée par des
réflecteurs? Le roi , mieux inspiré , a voulu que l'ex-
— 127 —
position do 1841 eût sa fête de nuit , et l'éclairage a
été combiné de manière à faire valoir tous les ta-
bleaux, depuis les pins grandes toiles jusqu'aux
plus humbles miniatures, et cela sans transformer
le Musée en un casse-cou. Le jour de l'inaugura-
tion du Musée de Versailles , au moment où la
nombreuse assemblée qui avait été invitée au spec-
tacle sortit de la salle , qui était éblouissante de
lumière , elle trouva toutes les grandes galeries il-
luminées. C'était un premier essai; il réussit moins
que celui qui vient d'être tenté. Aujourd'hui les ta-
bleaux du Louvre brillaient dans une lumière plus
éclatante et mieux distribuée. On eût dit une expo-
sition toute nouvelle , lantles rayons scintillans de
ces mille bougies jouaient avec bonheur sur toutes
ces toiles ranimées et rajeunies ; tant , sur ces pein-
tures, les yeux brillaient, tant les bouches par-
laient, tant les cœurs palpitaient de joie, d'espé-
rance, de crainte, d'anxiété, au milieu de toutes
ces scènes si diverses de l'histoire et de la vie pri-
vée; tant cette grande douleur du Supplicié de 1*1 n-
quisition était poignante à côté dvî cette douce et
royale sérénité d'une jeune princesse ; tant la lu-
mière pénétrait vive et radieuse au sein de C Assem-
blée des Notables, qui semblaient assister là moins
au conseil qu'à la fête; en un mot, tant il y avait
d'air, de fraîcheur, de poésie , de verdure , de tran-
quilles émotions dans tous ces paysages qui éta-
laient, à côté des pagrs d'histoire, la richesse de
leurs campagnes, lu beauté do leurs ombrages et
— lis —
la vnriél(' do leurs j3erspeclivos. h) parle des bons
lableaux. Quant aux mauvais , la fêle n'était pas
pour eux ; mais ils avaient leur part de la lumière
tout comme les bons , et la lumière leur prêtait gé-
néreusement son prestige; et les yeux des specta-
teurs se portaient sur eux , étonnés de s'y arrêter.
Le concert du 6 mai était un jour de gloire pour la
bonne peinture et d'amnistie pour la mauvaise !
Je voudrais nommer tous les peintres qui ont
obtenu, dans cette soirée, une des plus douces ré-
compenses qui puissent être ambitionnées par des
artistes dignes de ce nom, l'attention curieuse et
passionnée d'un public clioisi : Eugène de Lacroix,
Amaury Duval, Aligny , Ciorot , Granet, Gudin ,
LeuUier, Renoux ,Wickemberg, Decaisne, Bouton,
Marilbat , Biard , Calanie , Rémond, Gailait, Lepoi-
tevin , Henri SchefTer, Bellangé, Jadin , Paul Fian-
drin, mademoiselle Lafond, Marzoccbi; mais com-
bien j'en passe 1 presque tous étaient là. Aucun des
invités n'avait voulu manquer à l'appel. C'était la
fête de l'art , et un roi en faisait les bonneurs !
Sa Majesté est entrée dans la galerie du Louvre
à huit heures précises. La reine , le roi et la reine
des Belges, iVL le duc et madame la duchesse d'Or-
léans, madame la duchesse de Nemours, madame
la princesse Adélaïde , madame la princesse Clé-
mentine, M. le [)rince de Joinville , M. le duc de
Monlpensier, M. le duc Alexandre de Wurtemberg
et Leurs Altesses Royales les infans et les infantes
d'Espagne , accompagnaient Sa Majesté.
— 129 —
La foule, qui remplissait déjà les dernières tra-
vées de la grande galerie , s'est respectueusement
ouverte sur le passage du roi. Cette foule se compo-
sait de l'élite de Paris : maréchaux, ministres,
pairs , députés , magistrats , savans , hommes de
lettres , artistes , négocians , les chefs de l'armée et
de la garde nationale , l'administration , les muni-
cipalités; tous étaient en costume, hormis les dépu-
tés qui portaient le frac noir. Les ambassadeurs .
les ministres plénipotentiaires et les dames appar-
tenant au corps diplomatique, avaient une place ré-
servée à droite et à gauche en avant de l'orchestre.
Les sièges destinés à Leurs Majestés et à la famille
royale faisaient face à l'amphithéâtre adossé au sa-
lon carré. Derrière Leurs Majestés étaient assises les
femmes des maréchaux , celles des ministres , les
dames de la reine et des princesses; sur les ban-
quettes à la suite , jusqu'à la seconde travée , dans
un espace de près de deux cents mètres, toutes les
dames invitées.
Le Roi s'étant assis, le concert a commencé. En
voici le programme :
PREMIÈRE PARTIE.
1" Ouvorlure de la Gazza Ladra, de Rossini.
2° Fragmens de la Création du Monde ^ oratorio de Haydn.
(Les solos chantés par mesdames Dorus-Gras , Rossi , Nau,
Thillon, Dobré, Heinefetler, Laty, Elliau; MM. Diiprez , Pon-
chard, Dupont, M;\ssol, Marié, Levasseur, Baroilliet, Dérivis
et Alizard. ) 1" Dieu lira du néant. ^'^ Surprise d'un pouvoir
si grand. 3" Grand Dieu ! sur toi sont tous les yeux. i° Bril-
9
— 150 —
Utnl de grâce el de beaulé fclianté par M. Diipro/ ). > La Terre
el le Ciel.
SECONDE PARTIE.
5" Onv(Miure (Vlplngênic en Aiilide , de Gluck,
A" Sc<"'nc et chœurs {Vlphigênie en Tauride , de Gluck. (Le
solo chanté par M. Massol. )
5" Fragmens d'une symphonie de Haydn.
r>" Chœur iVAimide {Jamais dans ces beaux lieux), de Gluck.
7" Ouverlure du Jeune Henri., <le Méhul.
8" Fragmens de V oratorio de Judas Machabée, de Haendel.
Dans rinlervalle des deux parties. Leurs Majestés
se sont levées el ont entrelerui les dames.
Après le concert, qui a fini à dix heures et demie,
le Roi et la Famille royale se sont retirés par la ga-
lerie de bois , le Salon-Carré, la galerie d'Apollon,
et sont sortis du Louvre par la porte d'Henri IV,
où leurs voitures les attendaient. Au moment où le
Roi a quille la salle du concert, de vives acclama-
tions se sont fait entendre et ont long-temps re-
tenti sous l'immense voûte.
La fête a continué jusqu'à minuit, sans qu'un seul
accident ait troublé, au dedans ou au dehors, l'or-
dre qui n'a pas cessé de régner dans cette immense
réunion, où tout avait été royalement concerté
pour assurer une magnifique réception aux repré-
scntans de la grande ville, pour honorer les arts
qui font sa gloire, et pour joindre un souvenir du-
rable à tous ceux de la religieuse el nationale céré-
monie qui a donné rinvesliture chrétienne au se-
cond héritier de la dynastie !
loi —
CONCLLSION.
Ainsi, comme on le voit d'après le compte reniiii
des iétes et des cérémonies qui ont accompagné
la naissance et le baptême du comte de Paris, de
toutes parts l'espérance et les vœux de la nation
se donnent rendez-vous au berceau de cet auguste
Enfant. Lorsque, l'âge venu, il pourra apprécier
le caractère et les hautes destinées de ce peuple
dont il doit un jour devenir le chef, il puisera
dans ces témoignages de sympathies, dans ces
espérances qu'il a éveillées, ces nobles élans de
l'âme qui font deviner les grandes choses, ce dé-
voûment et cet amour pour la patrie qui sont l'apa-
nage de sa famille.
Nos prévisions, nos souhaits trouveront de l'écho,
nous n'en douions pas, sur celte terre généreuse
de France où les vertus sociales ont toujours fleuri,
où, de quelque bouche qu'ils fussent sortis, les vœux
pour la gloire et la prospérité de la nalioîi , pour
la grandeur personnelle de son chef, ont toujours
rencontré de la sympathie. A quelque parti d'ail-
leurs que l'on appartienne, je ne crois pas que les
haines politiques ne viennent pas expirer aux bords
d'un berceau, et qu'il soit un cœur assez peu fran-
çais pour appeler des malédictions sur la tète d'un
enfant.
Qu'il croisse donc co jeune comte de Paris et
qu'il soit lier à jamais de ce litre ! Paris, qui mar-
— 15-2 —
che à la tête de la civilisation, et seconde la ten-
dance des peuples vers un meilleur avenir; Pa-
ris, nouvelle Athènes, où les arts ont leur culte
et le génie des autels ; nouvelle Rome , toute parée
de l'éclat de ses triomphes et de sa gloire. Qu'il
s'enorgueillisse aussi de son épée : elle est no-
ble, elle sera glorieuse; elle rappellera, au besoin,
celle que les Eudes et les Robert trempèrent plus
d'une fois dans le sang des Normands. Si jamais
l'ennemi de la France ! !... Paris, alors, verrait ce
que sait faire l'épée de ses anciens comtes.
TABLE DES MATIÈRES.
Dédicace. 5
PREMIÈRE SÉRIE.
Sommaire.
Différences qui existent entre les comtes de nos jours et les
comtes de la féodalité. — Motifs qui peuvent nous porter
à nous occuper des anciens comtes, et en particulier
des comtes de Paris. — Coup d'œil sur l'organisation
administrative et municipale des Gaules, à l'époque de
l'invasion. 7
DEUXIEME SÉRIE.
Sommaire.
Origine du comté de Paris , sa nature. — Étendue de sa ju-
ridiction. — Les comtes de Paris, par leur position, du-
rent devenir une puissance rivale de la royauté. —
Causes qui s'opposèrent à leur élévation. —Ces causes
disparaissent à la fln de la seconde race , qu'il s'opère
un changement dans la position des comtes de Paris ;
étendue de leur puissance. — La royauté ne pouvant
exister à côté d'eux, ils deviennent rois. —Comment fut
amenée cette fusion de la puissance des comtes avec la
royauté. — Extinction du flef. 35
TROISIÈME SÉRIE.
Sommaire.
iXaissance dr Louis -Philippe- Albert d'Orléans. —Lu Roi,
son grand-père , lui confère , immédia tcmenl après qu'il
— loi —
t'hl uv , le litre de Comte de Paris. — Keiiaissanct' de vc
titre. — Scène de famille. —L'acte de naissance est ré-
digé. — Le maréchal comte Gérard et le maréchal comte
Lobeau y assistent comme témoins. — L'archevêque d(!
Paris , monseigneur de Quélen , se rend aux Tuileries
pour ondoyer l'Enfant royal nou\eau-né. — La ville de
Paris vote des réjouissances publiques en l'honneur de
ces événemens. — Le Roi fait distribuer d'abondans se-
cours. — Discours de M. le comte de Rambuteau , préfet
de la Seine. —Réponse du Roi. —Laps de temps qui s'é-
coule entre la naissance, l'ondoyement elles cérémonies
du baptême. — Lettre du ministre des cultes aux évèques
du royaume, à l'occasion de la fête du Roi et du bap-
tême de son petit-fils. —Lettre de monseigneur l'arche-
vêque de Paris à tous les curés de son diocèse , sur le
même sujet. — Fête du Roi. — Article du }Tonitcur. —
Grande réception à la cour à l'occasion de la fête du
Roi et du baptême du comte de Paris. — Réception de
monseigneur l'archevêque de Paris et de son clergé. —
Discours de monseigneur l'archevêque. —Réponse du
Roi. — Grâces accordées par le Roi. — Notice siu" les bap-
têmes des fils et des petits-fils des Rois. —Son Altesse
Royale madame la duchesse d'Orléans, avec son fils,
le comte de Paris, visite la salle d'asile-modèle de la ca-
pitale. — Extrait du Moniteur Parisien sur cette royale et
intéressante visite. — Baptême du comte de Paris. — Le
préfet de la Seine remet au comte de Paris l'épée qui
lui est offerte par la ville de Paris. — Banquet royal. —
Concert du Louvre. 71
(Conclusion. 131
CATALOGUE
Des principaux livres et recueils d'actes imprimes qui ont servi h
composer cet Essai sur les Comtes de Paris.
Les cinq volumes des Écrivains de France, de Diichêne.
[m Diplomatique et son supplément.
L\4rl de vérifier les dates.
Les Annales des Francs, du père Lecointe.
Thesoi-umanecdolorum, de dom Martène.
Colleclio amplissima, du même.
Histoire de Paris, de Corrozet, de dom du Breul,des RR. PP.
dom Lobineau et Felibien , et autres, comme Piganiolet,
l'abbé Lebœuf.
Gallia chrisliana , ancien,
Nolilia galliarum, d'Hadrien de Valois.
Les Tables chronologiques des ordonnances, par Blanchard.
J'omets, dans ce catalogue, quelques livres de mélange et
de mémoires qu'il a été également besoin de lire pour recti-
fier et des dates et des sentimens.
J'omets aussi plusieurs livres géographiques et quelques
journaux, comme le Moniteur universel, le Journal des Dé-
bats, etc.
Ou fti4^fftM^ anteui*
■■nucMB'»—
.^?j>'
F.SS
m vitm ^ mmlm m mu
SAISÎT »E]¥T^ In^fin'i^ Wgr AFFRi:
oali'îogm^hisloiiquo ekchronolcgicfjie des doyens de i'e-
atliopolitaiiie de Paris, des abbés réguliers et commcndn-
tîtrs, ahbcsses-, prieurs et .«upérîours généraux des abbaye^; ou
ongri gâtions dos archi-di;. • aîrcs-généraux, *upérlenrs
^3i^ imùxa
i ï»rj)FfT nf- i.'(^:!)vnr df.s pR^.TnF.s ï^fiumf.*^
riir«irHi
UVK-l»Bà-BONS-CNFANS, S,
--(Çr\rt^fÇ,j<